Quand on parle de la qualité de l’eau d’une rivière, les pêcheurs évoquent la richesse du peuplement piscicole et ils sont tout à fait fondés à dénoncer une dégradation déjà alarmante à la fin des années 90. Les mortalités très importantes de truites et d’ombres observées ce printemps 2010 ont rendu le phénomène visible de tous. On ne peut que remercier la presse locale pour avoir informé le grand public en publiant des articles bien documentés.
Quand on consulte le site Internet de la préfecture du Doubs on lit : « la Loue reste une rivière de qualité ». Une telle affirmation ne peut que surprendre le pêcheur, le biologiste et l’entomologiste.
L’argument définitif des services administratifs est l’IBGN (Indice biologique global normalisé) établi d’après des prélèvements à Mouthier ( en amont de la zone où les mortalités ont été constatées).
Certes l’attention du public est immédiatement sensible à l’évolution des populations piscicoles. Mais les poissons ne sont que les représentants du sommet d’une chaîne alimentaire dont les invertébrés aquatiques occupent les étages inférieurs. L’observateur de la nature constate une baisse extrêmement importante des populations d’insectes aquatiques. Cette baisse est difficile à chiffrer précisément, mais quelques exemples très parlants permettent de se faire une idée de l’ordre de grandeur.
Le petit Trichoptère Brachycentrus subnubilus, particulièrement abondant dans les années 80 est au bord de l’extinction. Il y a trente ans encore, les émergences étaient si massives que l’on ne voyait plus la rive opposée dans les secteurs de Cademène et de Cléron. La visibilité était la même que par tempête de neige.
De nos jours il est exceptionnel d’avoir la chance d’y repérer 10 insectes en même temps dans son champ visuel. Sur le fond de la rivière chaque brin de mousse Fontinalis était le support de plusieurs fourreaux contenant la larve ou la nymphe de cet insecte, Une estimation des populations actuelles au millième de leur densité de l’époque ne paraît pas exagérée. Les émergences restent significatives à Lods et Mouthier mais sont sans commune mesure avec ce qu’elles étaient alors.
Un autre Trichoptère de taille plus importante et apparaissant dès le début mai, Odontocerum albicorne, formait de véritables essaims autour des saules. On l’observe encore mais en très petit nombre. Comme l’espèce précédente il constituait une proie très énergétique pour la truite et l’ombre en début de saison.
Chez les Plécoptères, les vols de grandes Perles (Dinocras cephalotes) étaient également très spectaculaires. Michel Hivet a décrit dans le bulletin du Groupe Naturaliste de Franche-Comté (Falco N° 13 de 1978 pp 49 et 50) la façon dont les rapaces se nourrissaient de ces insectes qui volaient en quantités inimaginables pour l’observateur d’aujourd’hui. Les grandes perles représentent un bio-indicateur fiable car elles sont exigeantes quant à la qualité de l’eau et leur diminution est facilement compréhensible. Elles n’apparaissent plus qu’en petit nombre.
Chez les Ephéméroptères, une petite espèce très répandue, Ephemerella ignita, connaît, elle aussi, un déclin dramatique. Dans les années 75-80, les vols nuptiaux étaient si compacts au-dessus de la route surplombant la Loue au niveau de la tristement célèbre décharge de Scey-en-Varais (aujourd’hui fermée) que le passage en voiture à la tombée de la nuit salissait tellement le pare-brise qu’un nettoyage était rapidement indispensable.
On n’observe plus jamais de telles densités mais le plus souvent le vol pendulaire de quelques individus seulement. Or il s’agit d’une espèce relativement tolérante vis à vis de la pollution (indice de Moog ou indice saprobique : 2,1 alors que la fourchette de cet indice va de 0,4 à 2,3 pour les éphémères).
Devant un tel constat il faut reconnaître honnêtement que l’IBGN ne rend pas compte, ou fort imparfaitement, de la dégradation du milieu aquatique. On essaie de lui faire dire ce qu’il ne peut pas dire et il sert d’alibi à ceux qui veulent nier, grâce à lui, une réalité patente.
Sans faire une critique complète de cet indice, on peut remarquer une dérive des référentiels et une certaine légèreté dans le choix de la famille comme taxon servant à définir les Groupes Faunistiques Indicateurs (GFI). Leur polluosensibilté est très variable à l’intérieur d’une famille et même d’un genre. Seule l’espèce pourrait être signifiante.
En outre l’abondance d’un taxon n’intervient que fort peu dans sa validation comme GFI. Pour des espèces comme celles que nous venons de citer, autrefois extrêmement abondantes, ce n’est qu’au voisinage immédiat de l’extinction que leur déclin pourrait être reflété par l’IBGN.
Enfin la quantité d’insectes produits sur une portion de rivière est directement fonction de la surface susceptible d’être colonisée par ceux-ci. Le recouvrement de la majeure partie du lit de la rivière par des algues qui n’y proliféraient pas il y a 30 ans suffirait à expliquer la baisse des effectifs d’insectes vivant sur les pierres et les sédiments du fond ou sur les bryophytes elles-mêmes affectées par la prolifération algale.
Il ne suffit pas de dire que les taux de nitrates et phosphates respectent des normes quand on constate que le milieu naturel ne les supporte pas. Il faut avoir le courage de les remettre en cause et rechercher tous les moyens de les réduire.
La même situation se retrouve dans d’autres rivières de la région , Doubs, Dessoubre, Ain. Pour avoir une vision claire de l’évolution des populations d’Ephéméroptères, Trichoptères et Plécoptères, il est nécessaire de réaliser rapidement un travail scientifique de prélèvement dans des conditions identiques à celles dans lesquelles a opéré Jean Verneaux au début des années 70 et de comparer les résultats obtenus à ceux qu’il a publiés dans sa thèse (1973).
Michel Hivet OPIE (Office pour les Insectes et leur Environnement).
Jean Pierre Hérold CSRPN (Conseil Scientifique Régional du Patrimoine Naturel)
ASSOCIATIONS LOUE VIVE et FRANCHE COMTE NATURE ENVIRONNEMENT.