Par Nicole MORRE-BIOT
Une vie bien remplie
Né à Maisières (Scey-Maisières aujourd’hui, près d’Ornans) le 28 Mars 1845, O. Ordinaire appartient à une très ancienne famille comtoise qui comprend plusieurs personnalités renommées dans notre région.
En regardant ses antécédents : on y trouve notamment Pierre-François, avocat et professeur de droit qui fut Maire de Besançon, Jean-Jacques et Désiré, Recteurs des Académies de Besançon et Strasbourg, Léon, commandant d’artillerie (auteur de «Deux époques militaires à Besançon») et bien sûr, son père, Edouard, professeur à l’école de Médecine de Besançon, député puis préfet du Doubs (1870-1871). Occuper un tel poste après les évènements de septembre 1870, dans un territoire occupé en partie par l’armée allemande, n’était pas une mince affaire. E. Ordinaire avait là une mission difficile, délicate et même douloureuse. Olivier qui fut confident des tristesses de son père en garda un souvenir amer et après un échec électoral en avril 1881, il devait renoncer à une carrière politique…
Dans la notice nécrologique que rédige le Dr A. Magnin, celui-ci insiste sur les naturalistes :
Claude Nicolas auteur d’une « Histoire naturelle des volcans (1802) », Joseph-Melchior-Vincent Ordinaire de la Colonge, auteur d’un « Catalogue des plantes des environs de Belfort » et le Dr Edouard : « Les veillées franc-comtoises ».
Comme on le voit, nombre sont les lettrés dans cette grande famille.
Rupicola peruviana (mâle)
Pour revenir à Olivier, après d’excellentes études secondaires, il se tourne vers le journalisme.
Il participe notamment à plusieurs journaux régionaux :
– « Le Doubs » de 1869 à 1871,
– « Le petit républicain de l’Est »(1871), devenu
– « Le Républicain de l’Est » (1871-1872),
– « La Démocratie franc-comtoise » (1873-1882).
Son frère cadet, Marcel, dirigeait avec leur mère une imprimerie, mais est surtout connu comme élève et grand ami de Gustave Courbet. Olivier partageait lui aussi cette amitié pour le peintre d’Ornans. Il est d’ailleurs possible que l’un d’eux (les avis sont partagés, Marcel sans doute) soit l’un des figurants de la célèbre toile « Un enterrement à Ornans ».
Revenons à O. Ordinaire. De cette période (1879-1882), on ne sait que peu de choses de sa vie privée, si ce n’est qu’il s’implique dans des activités de sociétés scientifiques et qu’il était féru d’alpinisme : il fut ainsi un des membres fondateur du Club Alpin Français (section Jura).
En septembre 1879, par exemple, peu avant de partir au Pérou, il effectuera l’ascension du Mont Blanc, que son père avait déjà réalisé quelques décennies plus tôt. Cette expérience lui sera très utile lorsqu’il fera la traversée des Andes et de l’Amazonie.
Sa carrière consulaire au Pérou : O. Ordinaire, qui parle couramment l’espagnol, est nommé en 1882 vice consul à Callao (port de Lima), ville de la côte Pacifique du Pérou sur le littoral de cette région particulièrement désertique.
« Quand je débarquai à Callao pour la première fois, le Pérou était en guerre avec le Chili … les chiliens coupèrent la ligne de chemin de fer qui relie aux plateaux des Andes la ville de Lima et Callao, si bien que je me trouvais prisonnier sur la langue de terre qui sépare la cordillère de l’océan. »
… « je devais rester 3 ans et demie à Callao et j’avoue que cela me parut long ! »
Malgré tout, il va se décider pour occuper ses loisirs et satisfaire sa curiosité intellectuelle à faire de nombreuses expéditions qu’il va consigner dans un « journal de bord » et qu’il reprendra plus tard dans divers ouvrages et publications dont le principal est l’ouvrage :
« Du Pacifique à l’Atlantique par les Andes péruviennes et l’Amazonie » (réédité récemment)
Même s’il n’est pas le premier à parcourir ces régions, ses récits ne manquent pas d’intérêt.
Très bon observateur, ses textes sont précis, très documentés et ne manquent pas d’humour !
Je citerai, par exemple, quelques lignes tirées d’une de ses excursions :
« Je partis par le chemin de fer de « La Oraya », le seul qui mette la capitale du Pérou moderne en communication avec l’intérieur…
… ce chemin de fer passe pour le plus curieux du monde autant par la hardiesse de travaux d’art que par l’altitude qu’il atteint dans le tunnel de La CIMA (4 729 m), il mène vers le gisement argentifère. »
C’est au cours de cette expédition qu’il devait rencontrer un autre franc-comtois : Henry Michel, artiste et voyageur, qui est l’auteur de nombreux dessins qui illustrent les propos d’Ordinaire.
O. Ordinaire a un esprit curieux tant ethnographique que naturaliste.
« J’arrivai à PALCA où les rosiers fleuris se mêlaient aux mimosas, aux Huarangos et aux Tantales, couverts de capsules jaunes et de clochettes bleues… au pied des buissons ressortaient une espèce de pervenche et une petite orchidée d’un rouge écarlate. »
Il évoque également « le faste et la richesse des faunes d’oiseaux …
le Tangara aux sept couleurs, le Turkey (coq des roches), le Yuna-Turkey, le Cotinga au corps bleu et autres Tucans, Tchi-ouacs ou Caciques, Picaplores, Pilcos, Aracaris et tutti quanti »…
Il rapporte aussi ses multiples rencontres avec les autochtones, indiens Campas ou Antis dont il partagera souvent compagnie et repas (il donne d’ailleurs de nombreuses recettes de plats indiens cuisinés, comme il dit par les « bonnes femmes » des tribus indiennes…).
Les récits d’Ordinaire sont empreints d’un caractère aventurier et il fut maintes fois confronté aux dangers, n’oublions pas qu’à cette époque non seulement le pays était en guerre, mais il devait compter avec certaines tribus rebelles fort peu engageantes…
La maladie, la fatigue, les privations étaient également bien présentes (paludisme, mal des montagnes (le fameux « soroche ») sont les compagnes fidèles de ses «expéditions » !
En 1885, après 3, 5 ans au Pérou, il décide de regagner la France et choisit un itinéraire très aventureux à travers les Andes et le Bassin Amazonien !
Après avoir franchi la cordillère occidentale à 4 350 m d’altitude, il atteint PUNA et la route de La DROYA-CERRO de PASCO et franchit la cordillère centrale à HUACHON (5 000 m) avant de redescendre dans la vallée. En novembre, il entreprend la difficile traversée du Cerro de YANACHAGA (2 000 m) recouverte d’une épaisse forêt où il faut sans arrêt se frayer un chemin à la machette et seule, la coca, (qu’il recommandera vivement à ses amis alpinistes…) lui permit de vaincre la faim et la fatigue. Il redescend le Palcazu, en pirogue au milieu de tribus plus ou moins accueillantes ! Il put ainsi rencontrer les fameux Jivaros, redoutables coupeurs de tête !
Arrivé au Brésil, il terminera sa mission et rentre en France.
Sa carrière consulaire devait se poursuivre d’abord en Andalousie (Malaga, 1897) puis comme consul de première classe à Turin (1900).
Pendant cette période, il fit don des nombreux objets ethnographiques rapportés de ses voyages au Musée de l’Homme, participa à des conférences, rédigea de nombreux articles (dans « Le tour du Monde », « Dictionnaire illustré des grands explorateurs français » par exemples.
Et surtout, il fit paraître son ouvrage le plus abouti « Du Pacifique à l’Atlantique … » (1892, réédité en 1988)
A l’issue de sa carrière diplomatique, consul général honoraire, commandeur de la couronne d’Italie, il revint se fixer à Maisières auprès de sa mère !
On peut paraphraser J. du Bellay :
Caesalpina spinosa
Heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage,
Ou comme cestuy-là qui conquit la toison,
Et puis est revenu, plein d’usage et raison,
Vivre entre ses parents le reste de son âge.
Dans le cadre bucolique, ce comtois amoureux de son pays, après avoir contemplé tant de paysages, venait « reposer sa vieillesse ravie au spectacle toujours préféré à tous les autres, sur lequel ses yeux s’arrêtaient, à chaque détour du chemin entre Clairon et Mouthiers, sous les ombrages du Puits Noir ou devant le miroir de Scey. »(E. Ledoux notice sur O. Ordinaire).
O. Ordinaire, mycologue et président de notre société savante
C’est à cette époque qu’il devait s’intéresser plus précisément à la mycologie. Cet intérêt s’est révélé un jour de 1904 en rencontrant dans son parc de Maisières notre collègue mycologue amateur de la SHND, M. Grosperrin. Il se fait alors expliquer l’organisation des champignons, les différentes espèces, les moyens de reconnaissance… et se passionne ainsi pour la mycologie dont il devient un excellent spécialiste.
Il acquiert de nombreux ouvrages et suit les conseils des spécialistes de la SHND (O. Grosperrin, L. Hillier, F. Bataille), participe à de nombreuses expositions, aux herborisations, aux travaux de l’office mycologique de la SHND, en 1905, il est reçu membre de la Société mycologique de France et sera Président de notre société de 1912 à 1913.
Au cours de cette période, de 1908 à 1912, il publie également plusieurs opuscules tirés de ses carnets de voyage ( « A travers les Pyrénées », « En Andalousie », « En Catalogne »).
Ce sont des récits pittoresques, émaillés d’anecdotes et de réflexions originales :
dans « En Catalogne », il relate une étrange rencontre avec trois catalans dont il dit avoir rencontré « trois sosies de G. Courbet ! » « bref G. Courbet a de façon frappante un type catalan ! » ; il évoque d’ailleurs la parenté artistique de Courbet avec ses maîtres espagnols (Ribeira, Zurbaran et surtout Velasquez).
Ses dernières années, il les passera à Maisières, pendant lesquelles en plus de ses activités naturalistes, de l’écriture de ses diverses publications ; il sera Maire de son village, participera aux travaux de l’Académie des Sciences et Belles lettres de Besançon (1911) et de sa loge maçonniques (loge SPUCA de Besançon).
Il s’éteint chez lui, à Maisières, après une vie bien remplie, le 27 février 1914, ne laissant de survivant de sa grande famille que sa mère, inconsolable et un cousin, le Sénateur du Doubs, Maurice Ordinaire.