Le Doubs spectaculairement en assec !

Jean-Pierre Hérold nous a fait passer quelques images incroyables dues à Didier lors d’une visite réalisée le 26 août dans le secteur des «caves» du Doubs privées d’eau, à l’entrée du Défilé des gorges d’Entre-Roche, juste après Ville-du-Pont ! Nous y ajoutons quelques compléments en image, du 23 septembre puis de la mi-novembre, jusqu’au Lac de Chaillexon.

Notez que nous sommes ici en aval d’Arçon, le lieu «habituel» des pertes du Doubs vers la Loue. On verra plus loin une image d’une des techniques qui seront employées pour lutter contre ce phénomène : une buse empêche à l’étiage de laisser passer l’eau dans les fissures du karst, mais n’a pas d’action en cas de flux normal…

C’est dans ces gorges un événement encore plus spectaculaire car le cours de la rivière est à sec, avec seulement quelques vasques en eau. Pour se faire une idée de l’emplacement du site, allez sur Géoportail en cliquant ici. Il vous suffira de «descendre» le long du cours du Doubs sur la carte pour atteindre en fin de parcours le Lac de Chaillexon.

Ce phénomène est la suite évidente de la sécheresse actuelle. Il a été observé de mémoire d’homme moins qu’une dizaine de fois depuis un siècle… Un de cas est attesté par une coupure du journal l’Est Républicain, retrouvée dans une dossier par Jean-Paul Fallot (que nous remercions pour sa contribution) et datant du 13 décembre 1994, et qui évoque que «après des études poussées, un début de gestion des pertes sera mis en place en 95…»

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Vous pouvez également aller voir une émission sur le SAGE qui évoque les pertes d’Arçon, en particulier les préconisations «hydro-géologiques» envisagées à l’époque, et rapportées par Jean-Pierre Mettetal

Pour compléments, deux liens vers des documents qui apportent un éclairage intéressant, l’un de Yann Henry, l’autre d’Isabelle Brunarius.

Jacques Mudry, membre de la SHND et hydrogéologue, vient de nous faire passer quelques remarques, spécialement inspirées de sa lecture du texte de Yann Henry.

Voilà mes impressions d’hydrogéologue du karst

Le devenir d’une rivière drainée via le karst par la source d’une autre est, à échéance de quelques centaines ou milliers d’années, la capture totale.

Se pose un problème éthique vis-à-vis du respect de la nature : faut-il laisser faire (démarche écologique) ou bien bloquer le système dans son état actuel (objectifs économique, touristique…) ? La solution des buses verticales sur les pertes identifiées parait pertinente, et pas seulement de manière provisoire, dans la seconde démarche.

Pour la relation Doubs-Loue, rappelons que les pertes du Doubs ne contribuent que pour moins du quart au débit de la source de la Loue, donc que les lâchers d’eau du lac peuvent très bien être masqués par les apports diffus majeurs du bassin d’alimentation propre de la Loue.

Sans doute en relation avec le dérèglement climatique global, même si les totaux pluviométriques et le débit moyen des cours d’eau n’ont pas varié de manière significative depuis des décennies, les crues sont devenues plus violentes et les étiages plus bas.

Pour ce qui est du devenir de l’eau lâchée, l’existence de « réservoirs souterrains » qui se mettraient à déborder en période de crue est contraire au phénomène de karstification qui se développe le long des discontinuités (joints de stratification, diaclases et failles), qui donc garde une connexion permanente entre l’amont et l’aval. Le stockage se fait en même temps que l’écoulement, et à ce titre le karst n’a donc rien d’original par rapport aux autres nappes d’eau qui sont à la fois réservoir et conduite.

Ne comparons surtout pas le Jura karstique à un «gruyère», dont il est notoire que les «trous» ne sont pas interconnectés ! Dans le karst, tout communique à plus ou moins grande vitesse.

En ce qui concerne les traçages [on pourra en voir une des manifestations en novembre 2018 à la dernière photo de ce texte, image due à Michel Cottet], rappelons-nous que lorsque Maire et Gresset en 1901 (Fournier, 1913) ont tracé les pertes du Doubs, le sel injecté n’est jamais ressorti à la source de la Loue, mais dans le lit du Doubs à l’aval, par sous-écoulement dans les alluvions ou l’épikarst. La même année, le traçage fortuit à l’absinthe, confirmé en 1910 par Fournier avec 100 kg de fluorescéine, est par contre bien réapparu à la source de la Loue.

Le Haut-Doubs karstique est une zone sylvo-pastorale à faible densité de population. Concernant l’azote minéral anthropique, l’apport majeur en ammonium de tout le secteur provient des eaux usées traitées de la seule ville importante du secteur, la Chaux-de-Fonds, certes située beaucoup plus à l’aval que la zone des pertes.

Cependant, il y a une dizaine d’années (et je ne connais pas la situation actuelle), les déversoirs d’orage des égouts de Pontarlier apportaient une part très importante du phosphore dissous. Un déversoir d’orage est un dispositif permettant de rejeter directement les eaux usées brutes dans une rivière lorsque la station d’épuration n’est pas en mesure de traiter les débits de crue des égouts, spécialement dans le cas d’un assainissement unitaire qui collecte à la fois les effluents urbains et les eaux de ruissellement sur les toitures, chaussées et parkings (chargées en métaux lourds et en lubrifiants automobiles).

Enfin, il y a quelques années, lors d’une promenade au bord du lac St-Point, le collecteur d’égout situé sous le chemin de promenade entre Malbuisson et Chaon débordait directement dans le lac. Je ne connais pas la situation actuelle.

Et quelques remarques complémentaires…

Le 23 septembre, nous avons effectué une rapide visite du site entre Arçon et Remonot, et en proposons quelques images.
La vision de ce cours d’eau totalement à sec sur la majeure partie de son cours est tout bonnement extraordinaire… C’est la stupéfaction qui domine, une sorte d’incrédulité… Comment est-ce possible ? C’est également ce que ressentaient les personnes rencontrées sur place.
Dans le cours asséché, la végétation aquatique – comme la faune – est décimée, les nappes de fontinale (Fontinalis antipyretica), la bryophyte habituelle des eaux claires et fraîches, sont racornies, noircies, comme brûlées ; des espèces rudérales commencent à prendre pied et nous y avons même vu des plants de tomates déjà développés, traduisant bien la longue durée d’exondation ! Une sorte de « réseau » végétal fibreux recouvre par endroit les galets, des algues filamenteuses sans doute.
Dès juillet en effet, le Doubs avait perdu de sa superbe comme on peut le voir dans ce reportage de FR3 !
Dans le Défilé d’Entre-Roches, quelques suintements sont colonisés par la fameuse cyanobactérie rouge, Planktothrix rubescens , laquelle produit de temps en temps dans certains plans d’eau le phénomène extrêmement curieux dit du «sang des Bourguignons» !
Des dizaines de personnes se promènent tranquillement sur les galets, élevant un peu partout des dizaines de cairns à la place des rapides bouillonnants qui occupent la place habituellement.
Paysage étrange que cet impressionnant canyon sans sa rivière…

Notons encore que la mise en assec des fonds vaseux, spécialement au lac de Chaillexon, a permis l’apparition de plantes qui ne surgissent que dans ces circonstances particulières : ce sont des espèces à éclipse ! C’est le cas par exemple de Littorella uniflora, une petite Plantaginacée rare en Franche-Comté comme le montre la carte du Conservatoire botanique national, avec de belles populations qui viennent tout récemment d’être signalées par François Dehondt.
C’est bien moins favorable aux moules zébrées (Dreissena polymorpha) dont on peut voir sur les rochers les coquilles desséchées formant par endroit de véritables faluns. Il y a de fortes chances que, quand le lac reprendra son aspect normal, il y ait pénurie cet hiver de certaines espèces de canards plongeurs (les fuligules en particulier) qui ne consomment que ces coquillages ! Un « effet secondaire » inattendu…
On pourra constater cet impressionnant assec du lac (ici depuis les Brenets, CH) avec quelques clichés du 18 novembre : une image composite montre le lac dans les conditions classiques et la même vue actuelle  !
Le Doubs s’écoule néanmoins encore à l’état d’un gros ruisseau en entaillant par un cours tressé et méandriforme les sédiments déposés depuis des millénaires. Cette idée du « paléo-lac » de Morteau et de son comblement par les sédiments charriés par le Doubs depuis 12 000 ans est développée page 227 du remarquable ouvrage « Montagnes du Jura » de Vincent Bichet et Michel Campy.
On pourra également voir depuis le ciel ces étendues vaseuses exondées dans le film tourné par Daniel Richardet, et plusieurs autres documents sur YouTube.
Enfin, Michel Cottet nous a fait passer une image du Doubs ayant «absorbé» en novembre une coloration à la fluorescéine dans les pertes d’Arçon et qui se présentait comme un «lagon» fantastique !!

Enfin, et comme une illustration des «caprices» climatiques qui pourraient bien s’exagérer encore plus les années qui viennent, signalons le contraste entre la période de sécheresse qui nous frappe ainsi qu’une partie de l’Europe, et simultanément le drame des crues inouïes du sud-ouest de la France, en particulier de l’Aube, où des ruisseaux sans envergure ont pu devenir des torrents impétueux…

Les problèmes du déclin de la qualité de nos rivières jurassiennes sont depuis des décennies dans les esprits… Le Doubs, le Dessoubre et surtout la Loue, des cours d’eau de renommée internationale en ce qui concerne leur richesse biologique et partant leurs qualités halieutiques, n’avaient pas besoin de cette crise… Voir par exemple SOS-Doubs-Dessoubre ou SOS-Loue  !

Alors, «l’homme maître de la Nature» ?

Une proposition à méditer… n’est-ce-pas !

Nous vous proposons donc des clichés pris le 26 août… et quelques autres un mois plus tard, le 23 septembre et enfin à la mi-novembre.

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