PH des cours d’eau sur les reliefs du massif du Jura. Evolutions sur les années 2010-2016.

Le pH est une donnée importante de l’écologie des cours d’eau, tant dans les phénomènes physico-chimiques que biologiques. Par définition, c’est l’expression d’une concentration en ion H+. Variant de 0 à 14 (sans unité), un liquide est dit neutre à pH 7, acide pour des valeurs de pH inférieures à 7, basique pour les valeurs supérieures. Les substances ionisées qui le réduisent sont dites acides, celles qui l’augmentent sont dites bases. Sa mesure est souvent délicate, dépend en partie de la température (bien que négligeable pour 2-3 °C de différence). Elle peut aussi dépendre des techniques de mesure.
Les organismes aquatiques peuvent être plus ou moins impactés par la valeur du pH, dans le développement des coquilles et carapaces carbonatées par exemple, ou par des effets plus complexes, métaboliques ou même comportementaux.

Données PH des cours d’eau sur les reliefs du massif du Jura (Cf. annexes).

En 2010, le pH des différents cours d’eau s’évalue par une valeur moyenne de 8,3, légèrement basique donc. Les valeurs extrêmes se situent entre 8,6 et 7,8 : un seul cours d’eau, la Loue à sa source présente un pH inférieur à 8. Ces valeurs valident des cours d’eau en région calcaire, karstique : la dissolution des carbonates de calcium (calcaires) entrainent ce pH basique.

Acidification des cours d’eau sur les reliefs du massif du Jura entre 2010 et 2016 (soit 7 années).

En 2016, le pH des différents cours d’eau s’évalue par une valeur moyenne de 8,15. Une diminution de 0,15 est donc enregistrée sur 7 années. Rapportée sur une décennie, cette évolution correspond à 0,2 unité pH. Même si l’eau des cours d’eau demeure basique, il s’agit bien d’une acidification.

La grande majorité des cours d’eau (13 stations sur 15) présentent une telle évolution sauf le Doubs à Arçon et la Loue à Mouthier Hte Pierre. On peut donc considérer ce phénomène comme une évolution qui s’inscrit dans le temps à l’échelle de la région étudiée.

Il s’agit donc d’une acidification notable des cours d’eau de la zone considérée et la période 2010-2016.

Notons que, rapporté à la concentration en ions H+, cette acidification moyenne correspond à une augmentation de 40 %.

D’un cours d’eau ou d’une station à l’autre, l’acidification varie d’un facteur 1 à 5. C’est l’Ain à Pont du Navoy qui présente la plus forte évolution avec 0,5 point de pH pour les 7 années d’enregistrement. Et la Loue à Mouthier Hte Pierre est le cours d’eau où le pH est le plus stable (avec une très légère augmentation du pH).

Effets de l’acidification sur les processus physicochimiques en région karstique.

Le pH est un paramètre important dans les équilibres physicochimiques en zone calcaire, karstique, intégrant dissolution et précipitation du carbonate de calcium (calcaire) : avec la température, le pH règle en effet l’intensité de ces dissolutions et/ou précipitations. Nul doute pour que l’évolution du pH observée ces dernières années ne participe à une transformation des circulations karstiques. L’assec du Doubs à l’aval d’Arçon cet été 2018 illustre sans doute en partie ces phénomènes.

Effets sur le vivant de l’acidification.

La diminution du pH impacte de nombreux processus biologiques. En voici quelques exemples.
La calcification des organismes (squelette, coquille…) peut être réduite pour un très grand nombre d’espèces aquatiques : ceci peut s’avérer particulièrement préoccupant lors des développements larvaires.
De même, l’acidité favorise la mise en solution des métaux et métalloïdes, souvent biotoxiques. Ces effets ont été mis en évidence pour expliquer la raréfaction de certaines espèces de poissons lors des épisodes de pluies acides en Europe du Nord, phénomènes d’une autre ampleur que ceux observés ici.
Mais des effets plus subtils ont été démontrés concernant des fonctionnements nerveux et comportementaux : comme sur des poissons et crustacés marins, avec des variations de pH faibles.

Quelques hypothèses expliquant cette acidification.

Compte tenu de la difficulté à contextualiser ces données, il n’est possible que de proposer quelques pistes, quelques paramètres pouvant interférer dans les variations de pH des cours d’eau.

L’acidification des eaux des cours d’eau étudiés peut être comparée à celle des océans ; pour ceux-ci, le pH est passé de 8,2 à 8,1 en un siècle (depuis le XIXème siècle). Et les scientifiques estiment qu’il devrait passer à 7,8 d’ici la fin du XXIème siècle.
Bien que les masses d’eau ne soient pas comparables, l’évolution observée sur la période considérée sur les cours d’eau des reliefs du Jura est beaucoup plus rapide : rapportée au siècle, elle correspondrait à 2 unités pH, soit une évolution 20 fois plus importante.

L’acidification des eaux océaniques est expliquée par l’augmentation de la concentration atmosphérique en CO2, gaz trouvant son origine dans les combustions de matières carbonées fossiles. Ce gaz se dissout dans les eaux et s’ionise pour constituer de l’acide carbonique, ce qui libère des ions H+. Rien ne s’oppose au même phénomène pour les cours d’eau, les pluies étant à l’origine de la totalité ou presque des eaux en domaine karstique.
Le dioxyde de soufre rejeté par l’ensemble des combustions de matières carbonées fossiles est un acidifiant puissant. De même les oxydes d’azote (même source anthropique) ou l’ammoniac sont à l’origine d’acide nitreux, acidifiant.
Ces évolutions atmosphériques retrouvées à l’échelle planétaire participent sans aucun doute à la qualité des eaux douces de la région étudiée.

Néanmoins, il faut noter que les pluies en France semblent être de plus en plus basiques : une étude officielle montre qu’en France et plus largement en Europe, même si les pluies restent acides, elles augmentent du pH 4,7 à pH 5,2 entre les entre les années 1980 et 2008. Et on constate la poursuite de cette évolution pour les années concernant la présente étude (2014).
De même, l’érosion croissante des roches carbonatées constatée précédemment a comme effet d’augmenter le pH (basification).

Il faut donc chercher ailleurs que dans les pluies ou la qualité de l’air les explications aux évolutions très marquées du pH des cours d’eaux étudiés.

Les eaux rejetées par les STEP (stations d’épuration des eaux usées) doivent participer à des évolutions du pH. Cela peut se retrouver sur le Doubs à Arçon, après l’agglomération de Pontarlier (et la Loue auquel participe le Doubs – avec un tiers de ses eaux – à la source) ou encore à Morteau : les variations y sont très faiblement négatives et même positives (basification).
Mais les apports agricoles de matières azotées sous forme d’ammoniaque (engrais industriels, lisiers et purins) sont sans doute en cause pour une part à déterminer : l’ammoniaque : l’ammoniaque est une base faible, mais sulfates et nitrates d’ammonium (engrais minéraux possibles) acidifient les sols et les eaux après lessivage. Par ailleurs, la fixation de l’ammoniaque par le vivant se réalise avec ou sans transformations en nitrates, et dans tous les cas, provoque le rejet des ions H+ responsable de l’acidité. Globalement les différents apports sont ainsi considérés comme acidifiant les sols et les eaux.

On peut donc raisonnablement accepter une augmentation des apports anthropiques, particulièrement au niveau agricole. Les efforts réalisés sur certaines STEP laissent à penser à une diminution des apports acidifiants, ce que ne contredisent pas les évolutions de pH en aval de Pontarlier comme de Morteau. Par contre, les évolutions dans le sens de l’intensivité des pratiques agricoles semblent plus explicatives :

– la production agricole est en phase d’augmentation pour les produits laitiers ;

– la transformation des élevages, avec la production croissante de lisiers riches en ammoniaque au détriment de fumiers où l’azote est sous forme organique, est sans aucun doute un facteur aggravant de l’acidification des eaux douces, réceptrices finales de tous les effluents.

Conclusions.

L’acidification est avérée pour les cours d’eau drainant les reliefs du massif du Jura et pour les années 2010-2016 : elle s’observe clairement sur tous les cours d’eau pour la majorité des stations prises en compte. Elle semble même importante, très rapide, si on la compare à celle des océans. Il demeure donc difficile de l’expliquer parfaitement en l’état, même si des hypothèses fortes peuvent s’exprimer, particulièrement sur les apports excédentaires agricoles : des études plus fines (suivi d’isotopes radioactifs, etc.) seraient à mettre en œuvre pour valider les différentes pistes évoquées plus haut.

Bibliographie.

– D. Dixson Poissons sous acide. Pour la science n° 478, août 2017.

– S. Portejoie, J. Martinez, G. Landmann L’ammoniac d’origine agricole : impacts sur la santé humaine et animale et sur le milieu naturel. INRA Prod. Anim., 2002, 15 (3), 151-160

– Coddeville, Patrice and Pascaud Aude and Sauvage, Stéphane and Nicolas, Manuel and Mathias Etienne and Probst, Anne Evolution des émissions, de la qualité de l’air et des dépôts atmosphériques dans les espaces ruraux, notamment forestiers. (2016) Pollution atmosphérique, Numéro spécial 229-230, pp. 43-63

Sites divers dont :

– Wikipédia sur « L’acidification des eaux douces »

– Fiche Inéris A. Ch. Le Gall. Effets des dépôts atmosphériques de soufre et d’azote sur les sols et eaux douces en France. 2004

– Les conséquences de l’acidification des sols sur les eaux douces. https://www2.nancy.inra.fr/collectif/acidification/Consequences/conseque.html

– G. Sené, Arsenic et calcium, deux éléments présents dans les cours d’eau drainant les reliefs du Jura qui confirment l’érosion des sols et sous-sols. Site de la SHND 2017 (http://www.shnd.fr/spip.php?article453)

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