Eutrophisation de La Loue (2) : sources principales des nutriments, azote (N) et phosphore (P).

L’excès de phosphore est, avec l’excès d’azote, le principal responsable de l’eutrophisation de nos rivières (dégradation du biotope par le développement excessif d’algues). De plus, l’excès de phosphore est responsable du développement rapide de cyanobactéries. Comme nous l’avons fait pour l’azote (Partie I : Origine de l’Azote, article SHND No. 355), nous allons essayer de quantifier les apports anthropiques de phosphore sur le bassin versant de La Loue. Puis dans un troisième article, nous vous proposerons bientôt de faire le point sur la mobilité du phosphore, depuis les sols jusqu’au milieux aquatiques, à la lumière des travaux scientifiques récents.

Vous trouverez quelques définitions à la fin de l’article. Les calculs sont présentés dans un document téléchargeable (format pdf).

1- LA LOUE – En fonction de la pluviométrie, l’eau de La Loue livre des concentrations en phosphates très variables d’une année à l’autre. Par exemple à Chenecey-Buillon, la concentration moyenne en 2003, année sèche, est de 0,025 mg/l, alors qu’elle est 4 fois supérieure, 0,10 mg/l, en 2007, une année pluvieuse [1]. Avec un débit moyen [2] de 47m3/s, ces concentrations représentent des flux de 12 tonnes par an en 2003 et 48 tonnes par an en 2007.

Les phosphates ne représentent qu’une partie du phosphore total. Les fumiers et lisiers apportent du phosphore organique qui se retrouve en quantité variable d’un point à l’autre du bassin. Une étude récente [1] met en évidence 10% de phosphore organique dans l’eau de la source du Maine (commune de Cléron, 25) et près de 50% dans les eaux du ruisseau de Plaisir-Fontaine (affluent de la Brême, commune de Bonnevaux-le-Prieuré, 25). Cette différence s’explique par les différentes occupations des deux bassins versants. En effet, l’occupation du bassin versant du Maine est diversifiée, avec de multiples sources pour le phosphore (agricole, domestique, industrielle). Par contre, dans le cas de Plaisir-Fontaine, l’occupation du bassin versant est exclusivement agricole (la Surface Agricole Utile représente 62% dont 25% en cultures) ou forestière (forêt représentant 38%), et, dans ce cas, le phosphore provient exclusivement du ruissellement des terres agricoles. Choisissant un pourcentage moyen de 25% de phosphore organique pour La Loue (valeur à vérifier par des études futures), le flux total annuel de phosphore à Chenecey-Buillon (fig.1) s’établit donc à 16 t/an en année sèche (2003) et 64 t/an en année pluvieuse (2007).

Il faut de plus souligner ici que les eaux interstitielles ont des concentrations en phosphates vingt fois supérieures à celles de l’eau de la rivière [3], constituant ainsi un énorme réservoir de phosphore.

2 – AGRICULTURE – Sur le bassin versant de La Loue, le cheptel de 44.115 UGB (Unités Gros Bétail) [4] produirait environ 455.000 tonnes de fumiers et 245.000 mètres cube de lisiers. Cette production d’excréments contient environ 3500 tonnes d’azote, 4500 tonnes de potassium et 1700 tonnes de phosphore [5].

A cette quantité de phosphore, doivent être ajoutés les apports de l’agriculture du Haut-Doubs (participation pour 1/7è au bassin versant de La Loue par les pertes du Doubs à Pontarlier [4], soit 152 tonnes), et les engrais achetés (7 kg par hectare pour le département du Doubs [1], soit 378 tonnes pour l’agriculture du bassin versant de La Loue). Il en résulte une estimation de 2200 tonnes de phosphore apportées annuellement au bassin versant de La Loue par les épandages agricoles (fig.1).

Une étude récente [6] a fait le bilan des nutriments importés et exportés sur le bassin versant agricole de la source de Plaisir-Fontaine. L’excédent en phosphore est estimé à 3,5 kg de phosphore. En extrapolant cette valeur aux 54.000 hectares de la Surface Agricole Utile du bassin versant de La Loue [4], nous calculons un excès théorique annuel de 190 tonnes de phosphore (fig.1). Notons encore que lors des amendements en fumiers ou lisiers, si la quantité épandue par hectare est calculée sur la base des besoins en azote, il y a alors automatiquement une sur-fertilisation en phosphore puisque le rapport Phosphore/Azote des fumiers et lisiers est largement supérieur aux besoins des plantes [7].

3 – STATIONS D’ÉPURATION (STEP) – Les données de performance des STEP sont disponibles sur le portail du bassin Rhône-Méditerranée [8]. En additionnant les rejets en phosphore de l’année 2007, la dernière année où les flux de phosphore sont disponibles, nous calculons que la somme des rejets directs est de 22 tonnes de phosphore par an (fig. 1). La figure 2 permet de visualiser les rejets directs des différentes STEP regroupées ici en 4 sous-bassins :
– Basse-Loue (en aval de Chenecey-Buillon) : 22 STEP rejetant 9,5 t de P/an,
– Haute-Loue sud : 20 STEP rejetant 4,7 t de P/an,
– Haute-Loue nord : 37 STEP rejetant 7,4 t de P/an,
– et Haut-Doubs : 5 STEP avec seulement 221 kg/an transférés au bassin versant de La Loue par les pertes du Doubs.

À cela s’ajoutent les boues produites par les stations d’épuration (fig. 3). Ces boues sont quasiment toutes épandues. Les boues épandues représentent 1928 tonnes de matières sèches (en 2011, [9]). Elles contiennent généralement 26±4 kg de phosphore [10], soit 50±8 tonnes de phosphore épandues avec les boues (fig. 1). La figure 3 montre que cette masse de boues est essentiellement produite par un petit nombre de STEP de forte capacité. La STEP de Pontarlier produit à elle seule 887 tonnes de boues par an, boues qui seraient épandues sur le plateau d’Amancey.

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4- CONCLUSIONS – Le phosphore d’origine anthropique provient :
– des épandages agricoles pour 2200 tonnes annuelles,
– des boues des STEP avec 40 à 60 tonnes épandues annuellement,
– des rejets directs des STEP représentant annuellement 22 tonnes de phosphore.

1- Les rejets directs des STEP posent problème car ils sont une source de phosphore bio-disponible , c’est à dire directement assimilable pour le développement des algues et cyanobactéries.

Cependant, pour comparer la pollution par les STEP avec le flux de phosphore à Chenecey-Buillon, seules les STEP appartenant au bassin versant de La Loue en amont de Chenecey-Buillon doivent être considérées. Dans ce cas, la somme des rejets directs est de 13 tonnes de phosphore rejetées annuellement dans La Loue, un affluent ou dans le karst. Cette valeur est légèrement inférieure aux 16 tonnes par an qui coulent à Chenecey-Buillon en année sèche. Cette valeur est surtout très loin d’expliquer les 64 tonnes charriées par la rivière en année pluvieuse. Il manque 50 tonnes ! Il est donc évident qu’une autre source, qui n’aurait qu’un rôle mineur en année sèche, devient la source prépondérante en année pluvieuse.

2- Le phosphore épandu sur les sols représente environ 2250 tonnes, l’agriculture en représentant 97% . Si on retient la possibilité d’en mobiliser 5 à 10% [10], cela représente entre 100 et 200 tonnes annuelles potentiellement mobiles vers les milieux aquatiques.

En Bretagne [11], comme au Québec [7], les études récentes montrent qu’aujourd’hui la source principale du phosphore anthropique est l’érosion des sols et le transfert, sous forme particulaire, du phosphore, depuis les sols vers les milieux aquatiques.

Pour La Loue, cela est mis en évidence par la relation observée entre les concentrations élevées en phosphates, les matières en suspension et les fortes pluies [11]. Pour pouvoir expliquer les fortes concentrations lors d’une année pluvieuse, quand les concentrations et le flux de phosphore sont 4 fois supérieurs aux valeurs en année sèche, nous sommes bien obligés de conclure que le transfert, depuis les sols jusqu’à la rivière, augmente fortement avec les pluies et l’érosion des sols.
La différence entre le flux en année pluvieuse (64 t/an) et le flux en année sèche (16t/an), soit environ 50 tonnes annuelles de phosphore, correspond donc aux apports agricoles par érosion des sols.

Selon les chercheurs [7], dans la plupart des cas, seule une faible partie du territoire est responsable des plus gros transferts de phosphore vers le milieu aquatique. Ce sont les parcelles trop exposées au risque d’érosion. Les pratiques d’épandages sont aussi très importantes, l’épandage en surface sans recouvrement, la relation épandage-pluviométrie, sont des facteurs déterminants. Enfin, l’épandage des lisiers augmente très fortement les risques de mobilité du phosphore. Un prochain article fera donc le point sur la mobilité du phosphore.

[rouge]De toute évidence, l’arrêt des sur-fertilisations en phosphore ainsi qu’un contrôle plus strict des conditions d’épandages sont les seules actions qui permettront de diminuer les transferts de phosphore des sols vers le milieu aquatique.[/rouge]

Un moratoire sur les engrais (environ 400 tonnes annuelles de phosphore) pourrait être une première solution à court terme. De plus, l’analyse chimique des sols ou l’analyse des végétaux (par exemple l’analyse d’herbe [6]) devrait être rendue obligatoire avant tout importation de Phosphore dans l’exploitation agricole ou la parcelle.

[rouge] Pour ce qui concerne les STEP, l’arrêt des rejets directs dans le réseau hydrographique ou dans le karst (failles, dolines, pertes, …)[/rouge] et le traitement du phosphore dans les STEP les plus polluantes en phosphore (fig. 2, [gris]Amancey, Bians-les-Usiers, Chay, Epenoy, Etalans, Levier, Mont-sous-Vaudrey, Mouchard, Ornans, Port-Lesney, Quingey, Salins-les-Bains, Vercel[/gris]) doivent être une priorité de la modernisation du réseau de traitements des eaux usées.

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BIBLIOGRAPHIE

[1] Cuinet A., Daudey T., Rahon J., Daud J.-B. (2012) Suivi de la qualité des eaux des sources du Maine et de Plaisir Fontaine. 27 février au 3 août 2011. Agence de l’Eau, Conseil Général du Doubs, Fédération de Pèche du Doubs. 73p.

[2] Serveur de données hydrométriques temps réel
du bassin Rhône Méditerranée. Par exemple, station de Chenecey-Buillon : http://www.rdbrmc.com/hydroreel2/station.php?codestation=611

[3] Frossard V. (2006) Etude des proliférations algales sur la Loue Eté 2006. Master de l’Université de Franche-Comté.

[4] Villeneuve A., Humbert J.-F., Romuald Berrebi R., Devaux A., Gaudin P., Pozet F., Massei N., Mudry J., Trevisan D., Lacroix G., Bornette G., Verneaux V. (2012) Rapport d’expertise sur les mortalités de poissons et les efflorescences de cyanobactéries de la Loue. (expertise mandatée par le préfet du Doubs). ONEMA, Bioemco, 32p.

[5] « Valeurs fertilisantes des fumiers et lisiers ». Fiche de la Chambre d’Agriculture du Puy de Dôme : http://www.chambre-agri63.com/images/stories/valeurs.pdf

[6] Costilhes F et Tourenne D. (2011) Sous-Bassin de Plaisir Fontaine. Enquête des pratiques agricoles. Terres d’Avenir. Agence de l’eau, 30 mai 2011.

[7] : Centre de référence en agriculture et agroalimentaire du Québec (CRAAQ).
Revue de littérature
: La mobilité du phosphore Version finale : http://www.craaq.qc.ca/data/DOCUMENTS/EVA033.pdf

et aussi les Fiches techniques du Comité ad hoc groupe mobilité phosphore :

Fiche Technique No.1 : http://www.irda.qc.ca/_documents/_Results/168.pdf

Fiche Technique No.2 : http://www.irda.qc.ca/_documents/_Results/169.pdf

Fiche Technique No.3 : http://www.irda.qc.ca/_documents/_Results/170.pdf

Fiche Technique No.4 : http://www.irda.qc.ca/_documents/_Results/171.pdf

[8] Portail du bassin Rhône-Méditerranée – Catalogue des données performances des Stations d’Epuration :
http://sierm.eaurmc.fr/telechargement/bibliotheque.php?categorie=performances-step

[9] Ministère de l’Écologie, du Développement Durable et de l’Energie. Portail d’information sur l’assainissement communal : http://assainissement.developpement-durable.gouv.fr

[10] fiche ADEME. Fiche Technique Épandage. La valeur agronomique des boues d’épuration : http://www.ademe.fr/partenaires/boues/pages/f22.htm

[11] http://www.bretagne-environnement.org/Eau/Les-pollutions-et-menaces/

Phosphore/Ruissellement-et-erosion-du-sol-principales-voies-de-transfert-du-phosphore-dans-l-eau

et aussi : La pollution par les matières phosphorées en Bretagne, Etude bibliographique réalisée par Bl. Lemercier (2003). Direction Régionale de l’Environnement-Bretagne.

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