L’impact humain sur la qualité des eaux du Doubs : exemples de flux écologiques en matière de pesticides

La Station d'Epuration de Port Douvot (Besançon) (doc. Géoportail)

La Station d’Epuration de Port Douvot (Besançon) (doc. Géoportail)

« Campagne Glyphosate 25 » a relayé en 2019 sur Besançon une action nationale concernant l’imprégnation humaine par le glyphosate, un herbicide largement utilisé en Franche-Comté comme ailleurs dans le monde : au départ de cette action, il s’agissait de recueillir des urines humaines suivant un protocole précis et contrôlé et d’y rechercher du glyphosate.

En effet, quelque soit l’âge, le sexe, le mode de vie (rural ou urbain), le mode d’alimentation (avec ou sans pesticides ajoutés), etc., tous les résultats étaient positifs. Concernant l’échantillon bisontin, les concentrations urinaires présentaient une valeur médiane de 0,95 μg/L. Ces valeurs étaient toutes supérieures au taux de glyphosate admis dans l’eau potable (0,1 μg/L).

Une conclusion s’impose rapidement, les urines humaines plus ou moins concentrées en glyphosate participent à la pollution des cours d’eau par cette molécule, même après passage par une Station d’Epuration des Eaux (STEP), lesquelles ne disposent actuellement d’aucun traitement concernant les pesticides. Dans un premier temps, nous avons déjà cherché à vérifier la validité de cette hypothèse (Cf. Pièce jointe n° 1 ) : dans certaines conditions, nos urines (et excréments) peuvent effectivement participer à l’empoisonnement, par les quantités de glyphosate (ou d’AMPA) qu’ils peuvent contenir.

D’où le présent travail utilisant les données publiques de l’Agence de l’eau Rhône-Méditerranée et Corse (données Naïades) et destiné à étudier la part humaine dans le niveau de pollution par pesticides des eaux sauvages du Doubs.

1 – Objectifs, méthodes

Trois villes ou agglomérations jalonnent particulièrement le cours du Doubs depuis sa source jusqu’à Thoraise, les villes/agglomérations de Pontarlier, Montbéliard et Besançon. Avec des disparités, tant au niveau des populations que des débits du cours d’eau. (Cf. PJ n° 2, tableau 1).

Les trois agglomérations étudiées au fil du Doubs.

Les trois agglomérations étudiées au fil du Doubs.

Nous avons tenté de comparer la qualité des eaux (présence et concentration quantifiée) pour le glyphosate, l’AMPA, un de ses métabolites, ainsi que d’autres pesticides quantifiés ou non, ce qu’on peut nommer un bruit de fond, un « smog aquatique » de pesticides.0

Nous avons comparé les analyses pour deux stations, en amont et en aval des STEP, pour chaque ville ou agglomération, ainsi que le montre le tableau 1 (PJ n° 2 ). En amont, les stations choisies sont le plus proche possible de la ville/agglomération et en aval  de la STEP la plus proche.

Notons qu’une molécule peut être, pour des concentrations croissantes :

– recherchée sans être détectée : elle n’apparaît pas dans la liste des molécules de l’analyse,

– recherchée et être détectée sans être quantifiée : elle apparaît dans la liste des molécules de l’analyse avec le code 10,

– recherchée, être détectée et quantifiée : elle apparaît dans la liste des molécules de l’analyse avec sa concentration précisée et le code 1.

Nous présenterons dans un autre article des pistes concernant les transferts de glyphosate et surtout de son métabolite AMPA.

2 – Pesticides en concentrations quantifiées. Le cas particulier du glyphosate et de son métabolite principal, l’AMPA

21 – Evolution des pollutions par les pesticides en général lors du transit du Doubs par les villes/agglomérations

Dans cette première partie, tous les pesticides présents et en concentration suffisante pour être quantifiée ont été retenus pour les 6 stations. Cf. PJ n° 2 Tableaux 2, 3 et 4 .

Nous avons dans un premier temps classé les pesticides par type d’emploi : 17 pesticides ont été quantifiés sur l’ensemble des 6 stations toutes dates confondues. A savoir, 12 herbicides, 2 insecticides, 2 acaricides et un molluscicide (anti-limace). Les herbicides représentent 71 % de la diversité de ces pesticides.

Dans le tableau 3, (PJ n° 2), la prégnance des herbicides se trouve avérée, puisque toutes dates confondues, ils représentent plus de 90 % des occurrences quantifiées, tant pour l’amont que pour l’aval des villes/agglomérations ; le glyphosate/AMPA en représente plus des deux-tiers. On peut mettre en relation ces constats avec l’utilisation relativement importante d’herbicides dans la culture d’herbe fourragère, bien présente sur le bassin versant du Doubs pour les valeurs « amont ».

Le tableau 4 (PJ n° 2) confirme ces résultats en donnant les accroissements des occurrences quantifiées en pesticides et plus précisément en glyphosate/AMPA dans le transit du Doubs pour chacune des trois villes/agglomérations étudiées.

– de l’amont vers l’aval, pour le cours d’eau dans son ensemble, les occurrences quantifiées (hors glyphosate/AMPA) s’accroissent, et ce, alors que les débits sont de plus en plus importants et les effets de dilution de plus en plus élevés : il y a donc bien une augmentation des pollutions par pesticides de l’amont vers l’aval dans les eaux du Doubs,

– de part et d’autre de chacune des 3 villes/agglomérations étudiées, s’observent plutôt une augmentation de la diversité des pesticides quantifiés, un accroissement des occurrences quantifiées de pesticides avec une augmentation de 40 % ; de même, la proportion d’herbicides et, entre autres, celles des glyphosate/AMPA, augmente entre amont et aval d’une ville/agglomération,

Les deux tableaux 3 et 4 permettent de montrer différents phénomènes :

– logiquement, les majorations observées sont à mettre en relation avec la taille des villes/agglomérations : Besançon a un impact nettement plus important que Pontarlier, alors que le Doubs y présente un débit 10 fois plus fort, ce qui devrait provoquer une plus forte dilution et donc une pollution nettement moins marquée. Seul le différentiel de population peut expliquer les différences de pollutions par pesticides observées.

Autre élément étudié, les évolutions de concentrations en pesticides. Globalement, on constate une augmentation des concentrations pour les pesticides différents lors du passage du Doubs dans les 3 villes/agglomérations étudiées, ne serait-ce que par le passage d’une concentration détectée à une concentration quantifiée. Ce travail a été réalisé entre autres pour les mêmes dates (au nombre de 77) en dehors du glyphosate et de l’AMPA.

En conclusions de cette partie, les villes/agglomérations ont donc un impact sérieux sur les pollutions par pesticides du Doubs, dont le niveau de pollution s’accroit de l’amont vers l’aval (+ 40 %), pour chacune des trois comme globalement, de sa source à l’aval de Besançon.

22 – Le cas du glyphosate et à son métabolite recherché dans les analyses, l’AMPA

Cet herbicide, principe actif de plusieurs préparations dont le Round-up, est un pesticide particulier en ce sens qu’il est métabolisable : il donne alors une molécule elle-même toxique, l’AMPA. L’AMPA est l’Acide Amino Méthyl Phosphonique (ordre des initiales en anglais), l’un des principaux produits de dégradation du glyphosate, que l’on retrouve produit assez rapidement dans les sols (en quelques jours ou semaines), eaux superficielles et souterraines.

Nous avons donc étudié ces deux molécules dans les analyses des eaux du Doubs. Notons qu’elles sont toutes les deux présentes quasiment systématiquement à la concentration détectée.

Concernant le glyphosate (Cf. PJ n° 2, tableau 6), il est rarement présent à la concentration quantifiée et sa présence quantifiée est à associer à des débits faibles ou très faibles du Doubs. L’impact direct par les épandages agricoles est très probable pour les données « amont », ainsi que nous l’avions déjà conclu dans un précédent travail. Mais en situation « aval », les apports d’origine humaine, directs ou indirects, sont probables.

Vu les trop rares occurrences du glyphosate, il est difficile d’en dire plus.

Toute différente est la situation de l’AMPA qui, du fait de ses occurrences, suffisamment nombreuses, pour les mêmes dates, permet une étude plus approfondie (Cf. PJ n° 2, tableau 7).

On constate en effet que ses occurrences sont augmentées par le transit du Doubs à travers les villes/agglomérations : 78 occurrences quantifiées pour l’AMPA, 32 en amont pour 120 analyses, 46 en aval pour 122 analyses. Le facteur d’accroissement des occurrences est de 1,4, soit une augmentation de 40 %.

De même en moyenne, les concentrations en AMPA sont augmentées par un facteur 2 (1,2 à 2,5, suivant les situations), soit un doublement ou encore une augmentation de 100 %, au cours du transit urbain de la rivière.

Le comportement particulier du glyphosate, hydrophile et métabolisable et donc, a priori, non ou moins stocké dans les organismes (comme le sont la plupart des pesticides liposolubles stockables dans les tissus adipeux ou autres) explique partiellement au moins ce doublement des concentrations en AMPA des eaux du Doubs lors de son passage par les villes/agglomérations.

Alors que les rejets humains de glyphosate sont avérés par les analyses d’urines, la rareté du glyphosate en aval des villes/agglomérations et dans le même temps les occurrences/ concentrations importantes et majorées de l’AMPA correspondent bien au fait que du glyphosate est métabolisé en AMPA au cours de son passage par les STEP. Les traitements bactériens qui y sont mis en place favorisent sans aucun doute ce processus chimique. Notons que la toxicité de l’AMPA participe aussi à la dégradation du vivant et des écosystèmes aquatiques.

3 – Le bruit de fond de pesticides dans les eaux du Doubs et l’effet des villes/agglomérations

Ce travail s’appuie sur les pesticides non quantifiés, mais seulement détectés, constituant ce que l’on peut nommer un bruit de fond de pesticides. Le tableau 8 (PJ n° 2) pour Pontarlier et Besançon (données antérieures à 2014), montre le nombre de ces molécules et l’estimation de concentration globale que l’on peut en tirer. L’estimation des concentrations globales est réalisée classiquement en divisant par deux la somme des valeurs de quantification pour l’ensemble des pesticides présents.

On constate, de l’amont de Pontarlier à l’aval de Besançon, un accroissement de ce bruit de fond (de 275 molécules à plus de 450, soit 60 % d’augmentation ; de même, on constate une augmentation des concentrations globales estimées (10 fois plus forte, pour Pontarlier ou 80 % d’augmentation, pour Besançon) et avec un bruit de fond sensiblement semblable à l’aval des deux ville/agglomérations.

On peut donc conclure à une augmentation du bruit de fond « pesticides et dérivés» de l’amont vers l’aval (données amont-aval des villes/agglomérations) : tant sur le nombre des pesticides détectés que leur concentration estimée, les populations urbaines ont un effet sur la pollution par pesticides, du fait de leurs effluents par les STEP.

Ces effets participent au fait que, de sa source jusqu’à Thoraise, au moins, le Doubs présente un bruit de fond qui se développe.

Conclusions

L’homme se trouve donc bien directement un des éléments participant aux flux de pollutions par pesticides avec un effet d’accroissement des occurrences et concentrations des pesticides dans les écosystèmes aquatiques, lieu essentiel des rejets domestiques (en dehors des boues issues des STEP et épandues sur les sols). Particulièrement pour le glyphosate et son métabolite, l’AMPA.

Toutefois, sur la région concernée par notre étude, les flux, les circulations de pesticides autour des cours d’eau apparaissent différentes pour le glyphosate-AMPA par rapport à la grande majorité des autres pesticides ; cela peut sans doute s’expliquer de deux manières, au moins :

– le glyphosate est le pesticide le plus utilisé au monde, comme dans le département du Doubs. Sa présence ainsi que celle de l’AMPA, leur prégnance, leurs concentrations élevées sont donc logiques dans les analyses de l’eau du Doubs : apports directs par l’agriculture et indirects par tous les flux de matières dont ceux auxquels participe notre espèce ;

– les modes de circulation concernant le vivant (absorption, pénétration dans les tissus et cellules, métabolisation et excrétion), comme ses relations avec le domaine minéral (adsorption, fixation ou transformations chimiques) sont sans doute très différents de ce qui s’observe avec la plupart des pesticides.

Après absorption du glyphosate par l’espèce humaine, qu’elle soit intestinale, pulmonaire ou autre et, ensuite, son excrétion urinaire, partielle ou complète, après aussi absorption d’AMPA, les urines humaines transfèrent donc bien vers le Doubs du glyphosate ainsi que vraisemblablement de l’AMPA : les résultats des tests sur les urines humaines se retrouvent bien dans le présent travail avec l’augmentation de la présence des glyphosate/AMPA dans les eaux du Doubs (occurrences et concentrations).

Les excréments, après transit intestinal, et autres matières organiques parviennent jusqu’aux STEP et transfèrent aussi un ensemble de pesticides liés aux denrées alimentaires contenant des pesticides.

L’augmentation des pesticides entre amont et aval des villes/agglomérations peut donc s’expliquer, en termes d’occurrences comme de concentrations.

L’impact humain sur la qualité des eaux du Doubs se trouve donc confirmé : les STEP rejettent bien des pesticides de manière notable ainsi que le montrent ces études, bien que limitées du fait qu’elles sont soutenues par les données ponctuelles. Pour mieux comprendre ces transferts, des études en santé humaine devraient aussi préciser les modalités de flux dans l’organisme humain.

Ces pesticides apportés par notre espèce aux milieux naturels participent donc de manière logique, en intensité non négligeable à l’imprégnation marquée, généralisée des écosystèmes et des êtres vivants en pesticides. Imprégnation qui participe clairement à la définition de l’anthropocène, époque géologique marquée par l’empreinte humaine durable.

Suite à ce travail, nous ne pouvons que proposer des remédiations à cette situation :

– travailler sur les causes : il s’agit d’une évolution sociétale majeure, avec l’abandon urgent et nécessaire des pesticides (par des pratiques d’agriculture en qualité biologique et soutenables),

– soigner les effets avec une solution, sans doute partielle et de moyen terme : équiper les STEP de systèmes dépolluant les pesticides et autres micropolluants des eaux domestiques avant leur rejet dans les cours d’eau (adsorption sur carbone actif ou ozonation). Actuellement, en France, les STEP ne disposent d’aucun procédé de dépollution concernant les pesticides. Ces procédés commencent à exister en Suisse et en Allemagne et peuvent nous permettre quelque espoir.

Cet article est issu d’un article publié dans le bulletin n°98 et est téléchargeable en version PDF. Il est à compléter avec l’article à venir sur le site « Le glyphosate et son métabolite AMPA : polluants des villes, polluants des champs ? » 

Bibliographie

– SENE G. Les micropolluants et pesticides dans Les eaux comtoises : un enjeu grave en matière de biodiversité et de santé humaine. Bull. Soc. Hist. Nat. Doubs (2012-2014) 94, 50- 61.

– SENE G. Les micropolluants et pesticides dans les cours d’eau franc-comtois : compléments. Bull. Soc. Hist. Nat. Doubs (2016-2017) 96, 97- 112.

– Walther J.L. Qualité du Doubs franco-suisse. Profil de Micropolluants. Prélèvements par capteurs passifs. ENVIReau Sur la Côte 216 CH-2905 Courtedoux, Suisse Mars 2017

– ENVI’LAB & HOLINGER Apports vers le Doubs de polluants et nutriments à partir du bassin versant suisse. Bilan des flux, rapport final. 2016

– Baudry J, Debrauwer L, Durand G, Limon G, Delcambre A, Vidal R, Taupier-Letage B, Druesne-Pecollo N, Galan P, Hercberg S, Lairon D, Cravedi JP, Kesse-Guyot E. Urinary pesticide concentrations in French adults with low and high organic food consumption: results from the general population-based NutriNet-Santé. J Expo Sci Environ Epidemiol. 2019 Apr ; 29(3) : 366-378.

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