Formation d’un falun en plaine alluviale du Doubs en aval de Besançon

Par Jean-Pierre Hérold
Dans la boucle du Doubs, à Avanne-Aveney, un remarquable méandre de la rivière révèle un site de sédimentation constitué d’une quantité énorme de coquilles de mollusques accumulées avec un début de colmatage par des sédiments fins.

Cet ensemble de sédiment biodétritique meuble répond à la définition d’un falun. (cf annexe ci-après).

Le transport de ces millions de coquilles a été réalisé au cours des crues successives de la rivière. La dernière en date est celle du mois de janvier 2021. L’inondation a touché l’ensemble du méandre, elle a creusé les rives, arraché des sols et déposé des alluvions. Cette puissance hydrologique est très perceptible en début de printemps tant que la végétation n’a pas repris vigueur et que la renouée du Japon est en croissance.

Parmi les dépôts bien visibles, des dizaines de mètres-cubes organisés par les courants forment des talus uniquement constitués de tests de mollusques lamellibranches et gastéropodes.

La corbicule, ou palourde asiatique (Corbicula fluminea) est reconnaissable à ses robustes valves striées, de 3 à 5 cm. Elle vit sur les fonds graveleux, souvent en grande densité, jusqu’à une centaine d’individus par mètre carré. Elle présente une fécondité remarquable et peut chaque année produire près de 50 000 juvéniles par individus. Elle est consommée par le rat musqué et par le silure et quelques canards plongeurs.

Les coquilles des générations successives forment des amas poussés par les courants de crues et s’accumulent dans les zones de remous et/ou de calme formant ainsi des sédiments biodétritiques qui sont plus ou moins colmatés de sable et d’argiles.

Il est à noter que cette espèce de mollusque est une espèce très invasive, elle est originaire de l’Extrême Orient, le bassin du Mékong par exemple où elle est pêchée et consommée par les riverains.

Son introduction en Europe date des années 1950-1960 via les échanges multiples de produits de la pêche ou par des «  curieux de nature »  qui souhaitent « enrichir » la faune aquatique ; les larves véligères ont été également transportées par les eaux des ballasts des navires. L’invasion a été très rapide et tous les cours d’eau de plaine ont maintenant des populations importantes de corbicules. Elles se nourrissent de phytoplancton abondant dans les eaux enrichies en nitrates par les amendements agricoles.

Donc ces sédiments seront faciles à dater par les géologues du futur qui auront pour repère temporel l’introduction de l’espèce. C’est l’un des aspects de l’Anthropocène .

Le deuxième lamellibranche bien représenté dans les talus de falun est la moule zébrée (Dressenia polymorpha) reconnaissable à sa coquille triangulaire, plus fragile de 2 à 3 cm. Elle possède un byssus et vit fixée sur les rochers, murs, embâcles, pilotis ; elle a deux siphons et filtre également l’eau pour trouver ses aliments. Elle peut constituer des grappes qui colmatent des tuyaux d’adduction d’eau.

La moule zébrée est originaire de la mer Noire et de la Caspienne, elle a envahi les écosystèmes d’eau douce de toute l’Europe depuis les années 1970. La reproduction sur une année d’une moule zébrée peut atteindre un million d’œufs qui donnent des larves planctoniques pouvant circuler avec les courants.

Les valves des individus morts sont transportées en grand nombre au moment des crues et contribuent à constituer les faluns observés dans le méandre du Doubs d’Avanne-Aveney.

On y observe également des coquilles de plus grande taille, en nombre réduit, celles de la mulette du genre Unio, dont Unio pictorum, de 8 à 12 cm qui vit dans les zone sableuses et s’y déplace grâce à un pied musculeux. Elle est recherchée par les aquariophiles pour filtrer l’eau et agrémenter les bacs et les bassins d’eau froide.

La paludine d’Europe , escargot d’eau (Paludina vivipara = Vivipara vivipara) est un gastéropode à coquille enroulée sur 4 à 5 tours, de 3 à 4 cm, elle forme également des accumulations considérables dans les faluns sur des épaisseurs de plusieurs dizaines de cm, en association ou non avec les lamellibranches précédents.

C’est une espèce très présente sur les fonds de la rivière, c’est un brouteur d’algues, à reproduction rapide, vivipare et à durée de vie courte : deux à trois cycles annuels.

C’est donc une espèce autochtone comme l’Unio.

La masse que représentent ces mollusques est assez étonnante, elle résulte d’une situation de sédimentation bien particulière due à la géographie du méandre. Elle constitue actuellement un site d’accumulation biodétritique en voie de colmatage qui paraît stabilisé, mais qui n’est pas à l’abri d’une très forte crue à venir qui pourrait tout déplacer. La végétation rivulaire nitrophile s’y développe : les orties, renouées, et eupatoires contribuent à masquer ces formations qui sont peut être les faluns du 21eme siècle.

Les corbicules ou palourdes asiatiques (sur substrat sables et graviers) et les Dreissenes ou moules zébrées (sur substrat rocheux) sont des mollusques qui accumulent des produits solubles dont les pesticides en tout genre. Ils filtrent l’eau et consomment le phytoplancton, donc participent à la limpidité de l’eau.  Présents par millions, leur efficacité est réelle ! Ce sont des indicateurs utiles pour suivre la pollution aux métaux lourds.

Certains les ont introduites pour clarifier l’eau de leurs étangs.  Alors, je vais proposer un mot nouveau :  ce sont des  BIOSTEP !  

Ces deux espèces invasives nous protègent (un peu) de la toxicité des molécules de la pétrochimie (HAP) et de la pharmaco-chimie en diminuant leur concentration dans l’eau.

Tout étant une question de dose : médicament ou poison,  ou d’échelle : bactérie ou virus, il nous reste le choix entre le glyphosate ou le COVID 19, autre échelle, mais de temps …  humour grinçant ! C’est la marque de l’anthropocène.

     Dans la suite des néologismes, le poubellien, étage        stratigraphique  le plus récent de l’anthropocène

Annexe 
A l’origine le falun est un dépôt sédimentaire marin du Cénozoïque, souvent disséminé sur de vastes étendues. Il peut  aussi être fluvio-lacustre. Formé de débris de coquilles, parfois entières ou partiellement brisées, ce calcaire d’accumulation biodétritique peut former une roche compacte après une cimentation argilo-siliceuse fine et dense, mais reste généralement une roche meuble et friable car il est mélangé communément à du sable et de l’argile.

A consulter pour informations
DORIS :  https://doris.ffessm.fr/find/species :

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