Matières En Suspension (MES) dans les cours d’eau drainant le Ht Doubs et érosion des sols au cours des dernières décennies.

Ce travail utilise des données extraites d’un article paru dans le bulletin n° 96 de la Société d’Histoire Naturelle du Doubs, (automne 2017): « Etude des Matières En Suspension (MES) dans les eaux des cours d’eau drainant le Ht Doubs entre les années 70 et aujourd’hui : une approche de l’érosion des sols des reliefs du Doubs. Quelques hypothèses comme propositions explicatives.», par Gilles Sené, professeur agrégé, DEA Ecologie végétale.
Ci-dessus, la source de la Furieuse, en crue, Pont d’Héry (39) le 5 novembre 2017.

Problématique.
Les présentes études trouvent leur origine dans une réflexion sur les conséquences sur l’état des sols et des cours d’eau que pourraient avoir les transformations des activités agricoles (ou sylvicoles à un moindre degré) ou l’artificialisation des terres agricoles.

Les matières en suspension (MES, particules fines, argiles, sables et limons, matériaux organiques variés, insolubles, en suspension dans l’eau de tailles comprises entre un micromètre à un centimètre), matières détectées et quantifiées dans l’eau des cours d’eau, sont en effet le résultat de l’érosion des sols des bassins versants. Elles participent par ailleurs aussi au colmatage des fonds des cours d’eau tels que la Loue ou le haut Doubs ; elles participent donc à la perte de biodiversité des cours d’eau et à la fragilisation des écosystèmes aquatiques dont témoignent les mortalités, récurrentes ces dernières années, de la Truite (Salmo trutta L. forme fario) et de l’Ombre (Thymallus thymallus L.) sur ces mêmes rivières. Leur capacité à adsorber des micropolluants, et donc leur impact indirect sur la pollution des cours d’eau, renforce encore l’intérêt de se pencher sur leur présence, leur concentration ou leur histoire (des sols aux sédiments).

Après une étude centrée sur les analyses de l’eau réalisées par l’Agence de l’eau, une deuxième partie quitte le domaine aquatique et essaie de mettre en évidence une érosion des sols, à l’échelle des bassins versants, à partir des données MES et débit du cours d’eau considéré. Des outils de calcul (intégration à partir de données discontinues) exploités ailleurs, sur le bassin versant de la Meuse, par un laboratoire de recherche belge sont utilisés.
Enfin, dans une dernière partie, sont proposées, sous forme de pistes de recherche, d’hypothèses, des correspondances explicatives
– avec les évolutions climatiques récentes et leurs incidences (températures, précipitations, crues),
– avec certains aspects de la gestion des territoires, en particulier des pratiques agricoles en cours d’évolution et inscrites dans le paysage : ces dernières ont été étudiées grâce à des photos aériennes, pour les mêmes décennies.

Sources des données.
Le choix de stations s’est fait pour rendre compte au mieux de l’état écologique des bassins du Haut Doubs et Haute Loue, en amont de Mathay pour le Doubs et en amont de Chenecey-Buillon pour la Loue.

Nous avons exploité des données de l’Agence de l’eau Rhône, Méditerranée et Corse (disponibles librement sur le site de cette dernière, mais aimablement fournies dans un document synthétique par le Service Planification et Données de la Délégation de Besançon de l’Agence de l’eau RM&C), ainsi que, pour les débits des données aimablement fournies par le Service Prévention des risques naturels et hydrologie de la DREAL Franche-Comté.

Ont aussi été prises en compte des données climatiques (températures) relevées à Besançon-Thise depuis les années 1970. Enfin nous avons exploité des photos aériennes (réalisées depuis plusieurs décennies et tirées du site de l’Institut Géographique National, © GEOPORTAIL et travaillées avec le logiciel Mesurim) pour différentes communes ou parties de communes de Franche-Comté.

1 – Etude des concentrations en MES dans les eaux de cours d’eau drainant les plateaux et hauts reliefs du Haut-Doubs (25). Concentrations en MES dans les eaux de cours d’eau drainant les plateaux et hauts reliefs du Haut-Doubs (25) et érosion des sols.

Ces différentes études permettent les observations et conclusions suivantes, même si elles devront être confirmées :

– les quantités de MES exportées par la Loue et le Doubs au sortir des hauts plateaux présentent des évolutions variables suivant les dernières décennies, mais globalement, elles augmentent depuis les années 1970 (Cf. Planche 1). Toutefois, les concentrations en MES varient de 3 à 10 mg/l (valeur moyenne de 4,9 mg/l), les cours d’eau aux régimes plus torrentiels (Dessoubre et Loue) présentant les valeurs les plus fortes ; ces valeurs sont aussi impactées par la présence de barrages et lacs faisant office de piégeage. Dans le détail, on notera des situations contrastées suivant les cours d’eau et les décennies, même si ces conclusions sont fragilisées par la qualité des données, plus ou moins régulières suivant les 7 stations et les 5 cours d’eau étudiés. Concernant l’évolution des concentrations en MES, on peut observer différentes périodes, avec de nouveau des disparités entre les cours d’eau et stations. Néanmoins, on peut constater que si les concentrations en MES évoluent de manières diverses suivant les cours d’eau, on retiendra plutôt leur décroissance jusque vers les années 1990, une stabilisation sur 1990-2000, et depuis 2010, une reprise de leur croissance ;

– corrélativement, l’érosion des sols (la dénudation) augmente elle aussi régulièrement pour l’ensemble de la période prise en compte. Etudiée de manière plus calculatoire, mais aussi plus fiable puisque basée sur l’exploitation de couples de données « Concentration en MES » et « Débit » pour la même date et la même station, ont été exploitées les données sur la Loue (stations de Chenecey-Buillon) et le Doubs au sortir des hauts-plateaux (station de Mathay) (Cf. Planche 2). Compte-tenu des conditions climatiques, des reliefs plutôt modestes et des recouvrements végétaux importants (prairies-pelouses et forêts, avec peu de cultures), on retiendra que la dénudation, les pertes de matières des bassins versants sont relativement importantes (32 t.km².an–1 en moyenne, avec des extrêmes de 13 à 53 t.km².an–1), particulièrement en prenant en compte le bassin versant de la Loue. On retrouve aussi des évolutions différenciées suivant les décennies, avec de manière moins évidente, à confirmer, une augmentation de l’érosion des bassins versants depuis 2010. On peut préciser ici aussi que si l’érosion des bassins versants et l’exportation des matières par l’exutoire que constituent les cours d’eau diminuent jusque vers les années 1990-2000, depuis 2010, leur augmentation semble se dessiner.

– les deux approches se confirment mutuellement dans les évolutions qu’elles mettent en évidence, concernant l’érosion des sols comme le transport des matériaux sous forme de MES par les cours d’eau drainant les bassins versants.

2 – Hypothèses explicatives des évolutions des concentrations en MES dans les cours d’eau, de même que des taux de dénudation des bassins versants.
Concernant les causes possibles, nous sommes contraints, ici aussi, de demeurer prudents :

21 – Données climatiques. La diminution de l’érosion des sols des bassins versants et des transports de matières sous forme de MES observées des années à la fin des années 90 peut s’expliquer, et ce, d’autant plus que les données en MES sont limitées pour ces décennies, par la diminution les précipitations lors de la décennie 90 ; mais ces diminutions peuvent aussi constituer des conséquences de plus en plus amorties des remembrements des décennies 50 et 60 : la comparaison des données climatiques (station météorologique de Besançon-Thise), de même que l’étude des évolutions des crues, ne permettent pas d’aller plus loin ;

22 – Gestion des sols. Par contre, les autres évolutions, particulièrement l’augmentation probable, mais à confirmer, depuis 2010, semblent pouvoir s’expliquer en partie au moins par l’intensification encore actuelle des pratiques agricoles, avec la restructuration des territoires agricoles (arrachage de haies en dessous de 800 m d’altitude, passage du casse-cailloux et cultures de céréales et/ou d’herbe, etc.) ou même l’utilisation d’intrants perturbant sans doute les équilibres ioniques des complexes argilo-humiques et biologiques des sols, cette délicate interface entre roches et vie. Sont ainsi étudiées des zones où l’activité agricole est présente depuis des siècles, dédiée à la polyculture jusque dans les années 50, puis progressivement spécialisée sur l’élevage laitier. Ont été retenues deux communes présentant ces caractéristiques agricoles communes, mais des contextes géographiques différents :

– Le Luhier, commune des hauts plateaux (entre 800 et 850 m d’altitude) située entre les vallées du Doubs et du Dessoubre (bassin versant du Dessoubre),
– Fertans, commune du plateau d’Amancey (entre 500 et 600 m d’altitude), située en rebord de plateau au dessus de la vallée de la Loue (bassin versant de la Loue).

– Ces deux zones participent donc au bassin versant des rivières étudiées et donc à l’alimentation en MES des cours d’eau drainant ces bassins versants. Ont été recherchées (avec une précision estimée à 5 à 10 %) trois séries de mesures, sur plusieurs décennies d’écart, (Cf. Planche 3) afin de préciser une évolution, connue par ailleurs :
– le nombre de parcelles par unité de surface (km²),
– la surface moyenne des parcelles (ha),
– le linéaire de haies (km par km²).

Il est proposé de retenir de ces études les points suivants : l’intensification des activités agricoles s’est déroulée en plusieurs phases et n’est pas encore achevée. Elle conduit à une augmentation de la taille des surfaces des parcelles, accompagnée, particulièrement pour les zones des plateaux et de basses altitudes, de travaux de terrassement parfois conséquents et à la mise en culture d’herbe :

– une phase d’active restructuration liée au remembrement des années 50-60 en zones de moyennes et basses altitudes qui s’achève dans les années 70-80 : la surface des parcelles est augmentée d’un facteur 2,8, le linéaire de haies régresse, sauf sur les hauts plateaux ;

– une phase de ralentissement de l’intensification durant les deux décennies qui suivent : la surface des parcelles est multipliée par 1,7 durant chaque décennie, le linéaire de haies y est stabilisé durant ces années. Phénomène observé aussi sur les hauts plateaux ;

– une reprise de l’intensification dans la dernière décennie étudiée (2000-2010), reprise encore en cours : la surface des parcelles est de nouveau augmentée (jusqu’à 2,5), le linéaire de haies régresse sur les zones de moyennes et basses altitudes, est maintenu sur le haut, sauf exceptions.

3 – Conclusions.
Les études et données ci-dessus démontrent très probablement une érosion des sols en augmentation globalement depuis les années 70, particulièrement ces dernières années ; elles permettent de mettre en évidence différentes périodes de même que des différences entre cours d’eau et bassins versants. Des dynamiques à l’échelle du bassin versant du Doubs et de la Loue sont en cours : les relations avec les évolutions climatiques sont probables, mais ce sont sans doute, en l’état de ce travail, les évolutions de la gestion du foncier agricole qui semblent le mieux correspondre aux évolutions constatées quant aux concentrations en MES et à l’érosion des sols dans la région étudiée.

A l’issue de ces études qui nous ont entraînés parfois loin des cours d’eau, ce qui montre la complexité et l’importance des relations entre les différentes parties et acteurs d’un bassin versant, il ne s’agit surtout pas de croire que le sujet a été abouti : on doit considérer ce présent travail comme une étape, attendant des recherches pour en confirmer les premières conclusions, pour le développer, particulièrement dans un contexte climatique qui devrait amener de lourdes reconsidérations des activités humaines. Et il faudra donc sans aucun doute réévaluer alors les politiques agricoles soutenant une agriculture productiviste et l’artificialisation des sols agricoles, à l’aune de la disparition constatée de ces sols par érosion et transports par les cours d’eau sous forme de MES. Tout en sachant que d’autres domaines d’activités seront aussi à reconsidérer comme l’exploitation forestière avec ouverture de chemins d’exploitation, y compris sur des pentes fortes d’altitude, lieux privilégiés de l’érosion.

Bibliographie.

Entre autres documents (liste non exhaustive) concernant les MES et l’érosion des sols, nous avons travaillé avec les suivants (par ordre chronologique de publication).
– 76000 Rouen
Conseil scientifique du comité de bassin Rhône Méditerranée. L’état de la Loue : avis sur les recherches et les études menées sur la rivière et son bassin versant. Juillet 2015.

Van Campehout J. et all. Flux des sédiments en suspension dans les rivières du bassin de la Meuse : proposition d’une typologie régionale basée sur la dénudation spécifique des bassins versants.
BSGLg, 61, 2013, 15-36. Article téléchargé sur le site www.bsglg.be
SSARIAT
Commissariat général au développement durable. Le point sur Les « infrastructures agroécologiques » : état des lieux dans les communes françaises. N° 145, octobre 2012.

Approche des problèmes liés à l’érosion des sols : un aperçu.
« PDF geologues_169_erosion_sols_probleme.pdf » 2011 (?) Document publié avec la Société Géologique de France et téléchargé avec les références ci-dessus.

Diaporama 22-24 novembre 2010 Mt St Michel « Transport des matières en suspension, relation avec le flux solide ? A. Vongvixay et all. Références numériques : transnat.univ-rennes1.fr/ digit…

GRAIE – Groupe de Recherche Rhône Alpes sur les Infrastructures et l’Eau Fiche n° 5 : Calcul des masses de polluants par prélèvements. Document de travail, mars 2010.

Contextes climatique, morphologique & hydro-sédimentaire : dynamique des matériaux fins dans l’estuaire de la Seine. Fiche thématique éditée par le Groupement Public Seine-Aval (avec le soutien de l’Agence de bassin Seine-Normandie, 2008.

St. Sogon. Erosion des sols cultivés et transport des matières en suspension dans un bassin versant de Brie. Thèse Paris I, 1999

Sené G. Evolutions des phénomènes des crues sur le Doubs et la Loue depuis les années 70. Article sur le site http://www.shnd.fr/spip.php?article 437

Verneaux J. et all., 1995 – Classification biologique des lacs jurassiens à l’aide d’une nouvelle méthode d’analyse des peuplements benthiques. III. Relations entre données biologiques et variables du milieu Annales Limnologiques. 31 (4) : 277-286.

Données météorologiques :
Station de Besançon Thise, exploitées à partir du site http://www.infoclimat.fr

Données sur l’artificialisation des sols : w.ifen.fr
Agreste Franche-Comté, n° 183, juin 2013. Evolution de l’utilisation des espaces agricoles entre 2000 et 2010.

STRATÉGIE NATIONALE DE DÉVELOPPEMENT DURABLE 2010-2013. Les indicateurs du développement durable. Défi n° 6, Artificialisation des sols. Agreste, décembre 2012

Commissariat général au développement durable. Le point sur La France vue par CORINE Land Cover, outil européen de suivi de l’occupation des sols. Dorothée Pageaud et Camille Carré, SOeS N° 10, avril 2009.

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