Arsenic et calcium.

Bloc de calcaire érodé (10 cm)

Ces deux éléments présents dans les cours d’eau drainant les reliefs du Jura confirment l’érosion des sols et sous-sols.

D’après les éléments bibliographiques, les deux éléments que sont l’arsenic et le calcium témoignent l’un et l’autre de l’érosion des sols et/ou sous-sols. L’arsenic est plutôt en relation avec l’intensité de l’érosion des sols, tandis que le calcium dans nos régions est issu de la dissolution des carbonates de calcium, des calcaires, qu’ils soient contenus sous forme de blocs et graviers dans les sols que massifs dans le sous-sol karstique. C’est l’acidité des eaux de pluies – plus ou moins transformées par les activités de surface – qui, en s’infiltrant dans les sols et le karst, provoque cette dissolution.
Ci-dessus, un fragment de calcaire (15 cm de long) présentant une érosion profonde soulignant un réseau de diaclases.

Ces deux éléments sont analysés par l’Agence de l’eau Rhône Méditerranée et Corse dans son réseau de stations RCS pour les années 2010 à 2014 ou 2015 disponibles sur son site : (données au format Sandre et tabulé, disponibles sur son site). 4 mesures par an pour les mesures dans l’eau et 1 mesure annuelle dans les sédiments pour l’arsenic, 2 mesures par an dans l’eau pour le calcium. Huit cours d’eau et quinze stations (le Doubs à Mouthe-Pt Sarrageois, Labergement, Arçon, Morteau, Goumois, Mathay, le Drugeon à Vuillecin, le Dessoubre à St Hippolyte, le Cusancin à Baume les D., la Loue à Mouthier Hte Pierre, Chamblay, la Furieuse à Chapelle sur F., l’Ain à Pont du N., Mesnois, la Bienne à Jeurre) sont analysés sur 4 à 6 années pour l’arsenic. Sept cours d’eau et onze stations sont analysés sur 5 années pour le calcium (le Doubs à Mouthe-Pt Sarrageois, Labergement, Arçon, Morteau, Goumois, le Drugeon à Vuillecin, le Dessoubre à St Hippolyte, le Cusancin à Baume les D., la Loue à Mouthier Hte Pierre, l’Ain à Pont du N., la Bienne à Jeurre).

1 – L’arsenic , un métalloïde toxique présent dans les eaux et sédiments des cours d’eau drainant les reliefs du Jura.

L’arsenic est un métalloïde présent naturellement, dans les roches terrestres pour l’essentiel (99 %), mais on le trouve dans toutes les enveloppes superficielles y compris la biosphère, sous formes complexes minérales (en association avec le fer) ou organiques.

Sa toxicité est éprouvée depuis très longtemps et des normes de concentrations ont été définies dans l’eau et les sols. Toxicités aiguë ou chronique, les effets de cet élément se présentent comme des problèmes cutanés, respiratoires, nerveux et peuvent amener à des cancers ; c’est aussi un reprotoxique.

Utilisé dans l’industrie (usages très variés), il peut ainsi être parfois considéré comme polluant industriel primaire ou secondaire (associé à différents métaux ou utilisé comme pesticide par exemples).

Le cycle de cet élément fait participer toutes les enveloppes superficielles terrestres, sous des formes diverses. Les bactéries et autres formes vivantes exploitent l’arsenic, au niveau des interfaces que constituent sols et sédiments des fonds de cours d’eau. Ses caractéristiques physico-chimiques font qu’il est beaucoup plus présent dans les sédiments (adsorbé sur les argiles) que dans l’eau.

Outre des pollutions chroniques ou accidentelles, la présence de l’arsenic dans les cours d’eau met particulièrement en cause l’érosion des sols et les transferts de matières des sols vers les cours d’eau. Et même si le sous-sol calcaire de la zone étudiée est naturellement pauvre en arsenic (comparé aux régions granitiques), ces transferts existent. Nous pouvons donc le considérer comme un indicateur de l’érosion des sols.

11 – Données concernant l’arsenic dans l’eau.
Analyses trimestrielles, le plus souvent, amenant à 247 données pour les 12 stations retenues, car disposant de séries continues. Détecté le plus souvent, l’arsenic apparaît rarement en concentration quantifiée, et dans un nombre restreint de cours d’eau ou stations. Les concentrations sont exprimées en µg/l d’eau.

L’arsenic est le plus souvent détecté, avec une concentration inférieure à sa valeur de quantification : 0,25 µg/l. Il n’est quantifié que rarement, particulièrement sur le Drugeon (cours d’eau de faible pente, installé sur des matériaux fluvio-glaciaires riches en sédiments) (concentrations assez régulièrement égales à 0,8-0,9 µg/l, mais plutôt en croissance) et la Furieuse, à plus basse altitude. L’arsenic se trouve donc en faibles concentrations dans les eaux des cours d’eau étudiés, ce qui correspond aux valeurs que l’on peut attendre dans le contexte géologique de la zone considérée. Les quelques valeurs quantifiées présentent plutôt une évolution croissante pour les stations prises en compte. Notons que la PNEC (Predicted No Effect Concentration = la plus forte concentration de la substance sans risque pour l’environnement) est de 4,4 µg/l dans les eaux douces. Par contre, ce qui pourrait paraître problématique à long terme, c’est l’augmentation constatée de ses concentrations dans certains cours d’eau comme le Drugeon ou la Furieuse.Concentrations en arsenic et calcium. Graphiques

12 – Données concernant l’arsenic dans les sédiments.
Les données de l’Agence de l’eau exploitées dans ce travail, pour l’eau comme pour les sédiments, concernent 8 cours d’eau. Données annuelles renseignant les années 2010-2014 (parfois 2015), soit 12 séries de 5 données retenues (parfois de 4 ou 6 données). Les mesures sont la plupart du temps réalisées en septembre-octobre. Soit 60 données exploitées. Les concentrations sont exprimées en mg/kg de sédiments.

C’est en tête de bassin que les concentrations dans les sédiments sont les plus faibles : moins de 6 mg/kg : le Doubs près de sa source, à Mouthe-Pt Sarrageois, à Arçon, le Dessoubre, la Bienne par exemples. Plus en aval, les concentrations peuvent croître jusqu’à plus de 12 mg/kg. Dans le Drugeon, cours d’eau de pente faible, aux fonds riches en sédiments, les concentrations peuvent même dépasser les 15 mg/kg.

Globalement, est observée une augmentation des concentrations de ce métalloïde dans les sédiments des cours d’eaux étudiés pour la période analysée. Avec des coefficients directeurs parfois supérieurs à 1, soit plus de 1 mg/kg de plus par an et une moyenne pour les coefficients directeurs (pentes) des 12 stations retenues de 0,82. Même si les séries sont courtes et le coefficient de détermination rarement satisfaisant, cette tendance semble être une réalité.

La Furieuse est un cas à part, avec des concentrations beaucoup plus élevées : jusqu’à plus de 30 mg/kg, et avec une croissance très forte, multiplication par un facteur de 3 (coefficient directeur de 7,03 pour les 4 années analysées) ; il faut sans doute y retrouver un bassin versant concerné par un sous-sol plus riche en arsenic (marnes) et/ou une problématique particulière, en terme de pollution. Ceci est en correspondance avec des valeurs quantifiées dans l’eau fréquentes (8 fois en 4 ans).

13 – Hypothèses explicatives et conclusions.
Les évolutions croissantes, régulières, pour tous les cours d’eau et stations étudiés, des quantités d’arsenic présentes dans l’eau, mais surtout dans les sédiments, sont sans doute à mettre en relation avec une érosion croissante des sols sur les bassins versants correspondants.
Cela confirme nos études précédentes démontrant le même phénomène abordé par l’étude des Matières En Suspension dans l’eau des mêmes cours d’eau (http://www.shnd.fr/spip.php?article450). Ce sont les activités agricoles en cours de transformation, avec le développement des cultures (herbe et céréales) mettant à nu les sols, la déstabilisation des sols (complexes argilo-humiques), etc. qui sont très probablement en cause dans l’évolution de ces différents paramètres des eaux des cours d’eau de la région étudiée.

2 – Le calcium, un ion abondant dans les eaux des cours d’eau drainant les reliefs du Jura.

Le calcium est un métal alcalino-terreux présent naturellement, dans toutes les enveloppes terrestres profondes et superficielles y compris la biosphère, jamais à l’état pur, mais sous formes ionisées minérales (très solubles dans l’eau) ou organiques. C’est donc l’ion Ca 2+ qui est recherché par l’Agence de l’eau et étudié ci-dessous. Ce n’est pas une substance toxique, étant un besoin du vivant, mais il participe à la minéralité des eaux (dureté) et se retrouve donc dans les mesures de la conductivité.
En Franche-Comté, région calcaire, karstique, sa présence sous forme ionisée dans les eaux des cours d’eau témoigne de l’érosion par mise en solution des carbonates de calcium, autrement dits les calcaires. Que celle-ci s’opère dans les sols ou dans le sous-sol karstique.

Analyses semestrielles (printemps et automne), amenant, pour 5 années, soit 100 données pour les 11 stations et 7 cours d’eau retenus. L’ion calcium apparaît toujours en concentrations quantifiées, avec des concentrations exprimées en mg/l d’eau.

21 – Résultats et analyses.
Pour l’ensemble des mesures, la moyenne obtenue est de 83,40 mg/l, avec des valeurs extrêmes comprises entre 54 et 110 mg/l. Une forte disparité s’observe entre les différents stations-cours d’eau. Les stations et cours d’eau de moyenne inférieure à 70 mg/l comme la Bienne et Haut Doubs (Mouthe-Pt Sarrageois, Arçon, Labergement) sont situés à haute altitude.
Les stations-cours d’eau où la moyenne est supérieure à 70 mg/l (avec un maximum à 100 mg/l pour le Cusancin) sont situés à plus basse altitude. Un gradient décroissant avec l’altitude s’observe donc assez nettement.
On observe ensuite une opposition entre valeurs de printemps et d’automne : les valeurs moyennes de printemps sont toutes inférieures à celles d’automne, sauf une exception (Doubs à Arçon, et très légèrement inférieure), avec en moyenne une différence de 7,8 mg/l, mais parfois avec une différence importante (Doubs Mouthe-Pt Sarrageois, presque 16 mg/L).
Enfin, mise à part la Bienne, toutes les évolutions sont régulièrement croissantes (coefficients directeurs positifs inférieurs ou égaux à 0,01), avec les plus fortes s’observant sur le Doubs (à Labergement, Morteau) et sur le Dessoubre. Elles correspondent à des augmentations de 2 à 6 mg/L chaque année.

22 – Hypothèses explicatives.
Les relations avec l’altitude, la saisonnalité, le différentiel entre la Bienne et les autres cours d’eau peuvent s’expliquer par une variation de l’intensité de la dissolution des calcaires liée à la température.
En effet, la dissolution des carbonates de calcium est un phénomène dont l’intensité est en relation directe avec la température : si celle-ci augmente, la dissolution s’intensifie. Les valeurs plus élevées en basse altitude ou à l’automne sont ainsi directement expliquées. De même, en corrélant les évolutions des températures des cours d’eau, il est étonnant de retrouver pour la Bienne, une diminution de sa température comme de sa concentration en calcium, pour les mêmes années (http://www.shnd.fr/spip.php?article446). Et ce, alors que pour les autres cours d’eau, températures et concentrations en calcium croissent. On doit donc pouvoir mettre en relation température des eaux (et donc les températures atmosphériques locales) avec l’intensité de la dissolution des calcaires, des sols comme du karst.
Néanmoins, si les évolutions constatées peuvent être associées aux évolutions climatiques en cours, d’autres effets ne doivent pas être négligés : des apports croissants en matière organique (épandages de fumiers et lisiers) dans les sols peuvent être à l’origine d’une acidification des eaux karstiques et donc d’une dissolution accrue des roches calcaires. Ces effets ont été supposés dans l’augmentation de la conductivité (plus de 100 μS.cm-1 à 25°C pour la Loue à Chenecey-Buillon depuis 1987). Et l’augmentation des concentrations en calcium participe pleinement à celle de la conductivité. L’évolution des pratiques agricoles avec la destruction de microbiotopes (destruction des haies, passage du casse-caillou), l’utilisation d’engrais minéraux monovalents participant sans doute à la déstructuration des sols et des complexes argilo-humiques, est aussi une hypothèse à approfondir.

3 – Conclusions.

Les mesures de ces deux éléments, leurs évolutions dans les cours d’eau drainant les hauts reliefs témoignent d’une érosion des sols et sous-sols croissantes. Elles confirment certains de nos résultats précédents.
Les explications apparaissent de différents ordres, qui peuvent plus ou moins se cumuler :

– les évolutions climatiques, avec le réchauffement en cours, participent au développement de tous les phénomènes physico-chimiques. Entre autres, ceux concernant les calcaires des sols (blocs, cailloux et graviers) que du sous-sol (karst massif). L’augmentation des concentrations du calcium le démontre sans doute, avec la confirmation apportée par la Bienne : située dans une région où localement les évolutions thermiques ont été en partie à contre-sens du réchauffement climatique, on observe que sa température comme sa concentration en calcium diminuent.

– les évolutions en cours de la gestion des sols agricoles (développement des cultures d’herbes, céréales ou autres, accompagnées de pratiques déstabilisantes pour les sols) expliquent sans doute l’essentiel de l’augmentation des concentrations en arsenic des les sédiments et pour une moindre part dans les eaux dans la plupart des cours d’eau étudiés.

On peut imaginer que ces évolutions vont se poursuivre, et s’amplifier sans doute, pour celles liées au réchauffement climatique au moins, et témoigner de l’évolution régressive des cours d’eau de la région étudiée et de leurs bassins versants, quand elles n’y participent pas.

Bibliographie (partielle).
– Arsenic et ses dérivés inorganiques Fiche Inéris 07/04/2010
– Bossy A. Origines de l’arsenic dans les eaux, sols et sédiments du district aurifère de St Yrieix la Perche (Limousin France) : contribution du lessivage dans les phases porteuses d’arsenic. Thèse Université de Limoges Octobre 2010.
– Sené G. Etude des Matières En Suspension (MES) dans les eaux des cours d’eau drainant le Ht Doubs entre les années 70 et aujourd’hui : une approche de l’érosion des sols des reliefs du Doubs. Quelques hypothèses comme propositions explicatives. bulletin n° 96 de la Société d’Histoire Naturelle du Doubs, (automne 2017). Version sur le site : http://www.shnd.fr/spip.php?article450
– Sené G. Température des cours d’eau sur les reliefs du massif du Jura. Evolutions sur les années 2010-2015. http://www.shnd.fr/spip.php?article446

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