Dans la grande inventivité de l’industrie des pesticides, les SDHI constituent une famille de molécules destinés à détruire des organismes vivants, les champignons. Au départ, ce sont donc des fongicides, utilisés depuis les années 60, sur les cultures de céréales, fruitiers, pomme de terre, tomate, etc., jusque sur les stades et terrains de golf !
En l’état de nos connaissances, 18 molécules ont été créées (en 2 générations successives), 3 n’ont pas été utilisées en France, interdites ou non. 12 sont actuellement autorisées et participent à différentes préparations dans le traitement des cultures.
Présentation des SDHI et de leurs effets
Les SDHI constituent une famille de molécules toxiques particulièrement redoutables, car ils bloquent un des phénomènes clef de la gestion énergétique des cellules, le cycle de Krebs. Au sein des mitochondries, l’énergie potentielle contenue dans les molécules organiques est exploitée au travers de transferts d’électrons et ions hydrogènes (H+), déplacés de molécule en molécule formant un cycle. Le succinate, un dérivé des glucides (sucres), est une de ces étapes : une enzyme, la SDH (Succinate Deshydrogenase) permet de lui arracher deux atomes d’hydrogène et les électrons correspondants.
Les SDHI (Succinate Deshydrogenase Inhibitors) bloquent ou perturbent l’action de cette enzyme et donc bloquent ou perturbent tout le cycle de Krebs et la gestion énergétique des cellules.
Devant cibler les seuls champignons, les SDHI peuvent en fait bloquer ou perturber n’importe cellule animale, végétale, de champignon ainsi que de très nombreuses bactéries car le cycle de Krebs est une des caractéristiques du vivant la plus partagée. Leurs effets sur le vivant sont donc beaucoup plus graves, et ces pesticides sont actuellement mis en cause dans un certain nombre de maladies humaines, dites métaboliques ou mitochondriales : cancers, diabète, obésité, neuropathologies, cardiopathies, la liste n’en est malheureusement pas limitée actuellement. De nombreux travaux scientifiques valident ces mises en cause des SDHI, sans réussir pour autant à faire interdire cette famille de fongicides. Notons aussi que d’autres fongicides ou insecticides perturbent ou bloquent la respiration mitochondriale à d’autres étapes que le succinate.
Imprégnation des écosystèmes aquatiques en Franche-Comté par les SDHI
Toujours en nous appuyant sur la base des données publiques de l’agence de l’Eau, nous avons exploité des analyses de différents compartiments des écosystèmes aquatiques (http://www.naiades.eaufrance.fr/) :
– l’eau libre (cours d’eau et lacs),
– les sédiments des mêmes cours d’eau et lacs,
– des gammares, sortes de petites crevettes (crustacés amphipodes) vivant au fond des cours d’eau et utilisés comme indicateurs, pour certaines espèces, de la qualité des eaux ; ils se nourrissent de détritus végétaux et autres, ainsi que du film bactérien à la surface des graviers du fond et constituent la nourriture de nombreuses espèces de poissons carnivores,
– des poissons.
Les bryophytes (mousses), étudiés que pour leur imprégnation en métaux, ne sont pas exploités ici.
C’est dans ces différents compartiments des écosystèmes aquatiques que nous avons recherché et étudié les présences et concentrations des SDHI (Cf. tableau ci-dessous).
Présence et concentrations des SDHI dans l’eau libre (cours d’eau et lacs)
Dans les 3 départements étudiés (Doubs, Haute-Saône et Jura) (Cf. Tableau 1 ci-dessous et tableau 2 en pj.), nous avons exploité 136 stations et 1 896 analyses, réparties entre les années 2016 et 2019. Plus de 650 pesticides ou dérivés de pesticides sont recherchés. Semblent recherchés 7 fongicides SDHI, 6 autorisés et un interdit depuis 2002. Deux de ces molécules sont présentes systématiquement dans toutes les analyses, le Boscalid et le Mépronil, interdit actuellement. Les autres sont présents entre 35 et 99 % dans les analyses. Ces molécules sont le plus souvent (95 % des cas) à la concentration détectée. Première conclusion, les 7 SDHI retrouvés participent pleinement au smog, au bruit de fond de la pollution par pesticides des écosystèmes, alors que certains ne sont utilisés que depuis quelques années et qu’un autre a été interdit depuis 2002.
Si l’on s’intéresse ensuite aux molécules quantifiées. Elles représentent 99 analyses (soit > 5 %) et 3 molécules : le Boscalid, le Fluxapyroxad et le Fluopyram. La concentration pour le Boscalid peut largement dépasser la LOQ (Limite de quantification) : plus de 20 fois, en Haute-Saône, soit plus de 0,14 µg/L. Les présences quantifiées de ces 3 molécules témoignent d’usages, agricoles très vraisemblablement, proches du lieu et de la date du prélèvement (dans le temps et l’espace, en amont sur le bassin versant).
Plus nombreux (3 molécules au lieu de 2 dans les autres départements) et abondants en Haute-Saône (72 % des mesures quantifiées), cela confirme bien des usages agricoles, la Haute-Saône étant la plus cultivée de manière intensive des 3 départements et le département utilisant le plus de pesticides à l’hectare (1,16 Kg/ha SAU en 2017), et le Doubs le moins de trois fois (0,36 Kg/ha SAU en 2017). Seconde conclusion, les 3 SDHI mesurés en concentration quantifiée caractérisent des cultures de céréales ou autres, en polyculture intensive.
Présence et concentrations des SDHI dans les sédiments (cours d’eau et lacs)
Dans ces 130 analyses, quelques 250 pesticides et dérivés apparaissent, soit un effort de recherche nettement plus faible que dans l’eau libre. Même si des fongicides y apparaissent régulièrement, aucun des SDHI n’apparait : on peut donc penser qu’ils n’y sont pas recherchés. Impossibilité donc de conclure sur une imprégnation des sédiments par les SDHI.
Présence et concentrations des SDHI dans les gammares
Les gammares étudiés (espèce inconnue) ont été prélevés dans 5 stations réparties sur les 3 départements. Dans ces 16 analyses (3 ou 4 par stations réparties sur une année, 2017 ou 2018), un peu plus de 80 pesticides et dérivés apparaissent régulièrement. Un seul SDHI y apparait régulièrement, jamais en concentration quantifiée, le Bixafen (1 ou 3 µg/kg poids frais, suivant les analyses). Nous pouvons imaginer qu’il est le seul recherché, vu la présence dans l’eau libre de plusieurs SDHI, y compris en concentrations quantifiées.
Une estimation rapide de la concentration en pesticides des gammares donne 60 µg/kg poids frais.
Dans tous les cas, les gammares ont été prélevés en aval de zones de grandes cultures intensives avec leur cortège de pesticides en concentration quantifiée (insecticides, fongicides et surtout herbicides).
Malgré la limitation de ces données, l’imprégnation des gammares par les SDHI est très probable, au-delà du seul Bixafen, systématiquement présent.
Présence et concentrations des SDHI dans les poissons
Les 3 poissons étudiés (espèce inconnue) ont été prélevés le 23/08/2017 dans le Doubs, à Thoraise, à l’aval de Besançon. Les mêmes pesticides et dérivés apparaissent que dans les études sur les gammares, soit un peu plus de 80 molécules.
Le Bixafen y est de nouveau le seul SDHI présent et en concentration inférieure au seuil de quantification (< 2 µg/kg poids frais).
Une estimation rapide de la concentration en pesticides des 3 poissons donne 20 µg/kg poids frais.
De même que pour les gammares, et malgré la limitation des données, ces résultats montrent une imprégnation par les SDHI très probable, au-delà du seul Bixafen, systématiquement présent.
Conclusions
Au travers de ces études, il apparait que des SDHI sont des pesticides fréquemment à systématiquement présents dans les eaux et organismes vivants des cours d’eau en Franche-Comté. Leurs occurrences régulières et parfois suffisamment concentrées pour être quantifiées en font des polluants inquiétants.
Leur participation au smog de pesticides dans lequel le vivant se déploie aujourd’hui est avérée, alors que certains ne sont apparus que récemment (2012-2013 pour le Fluxapyroxad)
Leur présence en concentration quantifiée dans plus de 5 % des analyses des eaux libres témoigne aussi des usages en agriculture sur les bassins versants des cours d’eau étudiés : le Boscalid en est la molécule emblématique toujours présente, la plus souvent rencontrée à la concentration quantifiée, la plus fortement concentrée aussi.
Leur imprégnation est encore en cours et en croissance, du fait de l’accumulation de ces molécules comme le montre la présence fréquente du Mépronil, interdit depuis 2002, dans les eaux de Franche-Comté, ou celle du Bixafen (inventée en 2010) retrouvée dans 94 % des prélèvements d’eau libre et dans tous les organismes vivants étudiés ci-dessus.
Nul doute, au su de leur dangerosité recherchée, que leur omniprésence dans les différents compartiments de ces écosystèmes fragiles ne participe à l’effondrement de la biodiversité des cours d’eau en Franche-Comté et aux problèmes de santé ou de fécondité des êtres vivants, espèce humaine comprise.
Bibliographie succinct
– Différentes fiches trouvées sur le site de l’Inéris relatives à différents SDHI.
– Site FRAC info : Fungicide Resistance Action Comittee (FRAC) : Mode of action of Fungicides, classification on mode of action 2014.
– Avis de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail.
– (ANSES) relatif à « l’évaluation du signal concernant la toxicité des fongicides inhibiteurs de la succinate deshydrogénase (SDHI)». Saisine n° 2018-SA-0113 du 15/01/2019. F.
– Nicolino, Le crime est presque parfait. Ed. Les liens qui libèrent, 09/2019.
L’article complet est téléchargeable en version PDF
et le tableau 2 en version PDF