Lisiers d’hiver, hécatombe dans les rivières

Par Jean-Pierre Hérold
L’été est passé, ainsi va le temps au Pays de Courbet, avec une canicule de plus,

Le vin est dans les tonneaux à Vuillafans, l’année a été bonne !
Les pommes sont au fruitier, « y a eu du butin » !
Les touristes sont venus nombreux au musée Courbet à Ornans!
Les épandages pour vider les cuves de lisier sont terminés sur le plateau,
Le beau temps a facilité les « travaux des champs »
L’eau du ciel va rincer tout cela !
L’hiver se prépare, on a rentré les bêtes à l’étable !
Les premières neiges sont là…. 

Dans la rivière quelques places de frai des truites étaient visibles mais rares,  taches claires au milieu d’un fond brun-vert ou noir ! 

Mais sur le fond colmaté et compact les truites ont du mal à faire leur place, elles se sont blessées, et des poissons couverts de « mousse » sont encore visibles dans les remous. Ils sont TOUS condamnés à MORT !

La crue d’automne tardive a entraîné les algues et les croûtes qui se décollent et bientôt on n’y verra plus rien, donc, tout va bien ! RAS, circulez !

Pourquoi, tous les ans, recommence ce cycle mortifère ?

Des algues qui prolifèrent par centaines de tonnes, le fond qui est colmaté, les invertébrés qui sont asphyxiés, toute la faune qui disparaît. La rivière se meurt !

Elle est trop bien nourrie, on appelle cela l’eutrophisation ou surabondance d’aliments qui débouche sur la dystrophie ou maladie, c’est grave ?

Un régime est-il possible ?  oui…..mais…

Mais revenons à des données objectives :

Voici, quelques chiffres pour clarifier le débat sur les nitrates. Ces données proviennent de la station de prélèvement des eaux de la Loue (AEP) de la station de Chenecey qui alimente la ville de Besançon. Toute l’année, il y a plusieurs analyses par semaine.

La concentration moyenne en nitrate d’une rivière est, en moyenne, de 5 mg/l  entre le mois d’avril et le mois d’octobre et/ou lors d’un étiage de longue durée pendant l’été,

Elle peut atteindre des pics de 17 mg/l lors d’un épisode pluvieux en automne, période correspondant aussi  à la « fumure » des terres d’élevage avec les épandages de lisier et de fumier.

Dans ces conditions, les flux de nitrates dans la rivière peuvent atteindre :

  • avec une concentration de 5 mg/l (soit 5 g/m3) et un débit d’étiage de la rivière de 10 m3/s plus de 180 kg/h soit plus de 4 tonnes par jour.
    Le calcul est indéniable : 5 gX10 m3 X 3600 s = 180 000 g/h & 4 320 000 g/24 h
  • avec une concentration de 17 mg/l (soit 17 g/m3) et un débit d’étiage de la rivière de 100 m3/s plus de 6 050kg/h soit plus de 145 tonnes par jour.
    Le calcul est indéniable : 17 gX100 m3 X3600 s = 6 120 000 g/h & 146 880 000 g/24 h

Ces résultats sont bien connus depuis des années !

Cela représente, sur une année, une perte énorme d’engrais potentiel pour la profession agricole, donc une perte financière qui devrait être insupportable ! Mais tout le monde s’en accommode par ignorance ou par habitude ? 

Il faut leur dire que leur argent part à vau-l’eau !

Et, que les spécialistes ne nous disent pas que c’est normal, qu’il y a toujours « fuite d’azote » des surfaces toujours en herbe (un peu) et des surfaces cultivées (beaucoup); c’est vrai mais les chiffres admis sont de l’ordre de 3mg/l de nitrates pour une rivière en bon état comme l’aval de la source du Doubs à Mouthe ou les valeurs notées par J. Verneaux en 1970 dans la Loue.

Alors que devient cet engrais pour la flore aquatique ?

Il provoque la croissance et la prolifération des algues :

  • Vaucheria en amont qui préfère les températures basses (12-15°C),
  • Cladophora plus en aval, qui préfère des températures supérieures,  
  • des Cyanophycées  comme Oscillatoria potentiellement toxique,
  • le cortège des plantes à fleurs, Renoncules, etc
  • des Bryophytes, Fontinalis, quand elles ne sont pas étouffées par les algues.

En fin de cycle végétatif cette masse, énorme, de matière organique est évaluée

à 20 tonnes par hectare.

Commence alors le processus de dégradation-fermentation qui entraîne dans les secteurs d’eau peu courante l’apparition de zones anoxiques donc des milieux réducteurs totalement abiotiques.

Une des conséquences est le colmatage des fonds qui, d’une part réduit la microfaune (larves diverses, crustacés, etc.) en diversité et en abondance et, d’autre part, rend les frayères impraticables, surtout s’il n’y a pas ou peu de crue.

Pourtant une prise de conscience semble se faire jour et des mesures ont été prises par les multiples acteurs concernés par ces problèmes.

On peut citer, par exemple :

  • la mise aux normes progressive des stockages de lisier sur une durée de 4 à 5 mois, ce qui devrait réduire puis supprimer l’épandage hors période de croissance végétale.
  • ou encore le contrôle des STEP et leur amélioration par adjonction de traitement tertiaire : lagunage, lit à macrophytes, etc.
  • et aussi l’amélioration du fonctionnement des ICPE, Installations classées pour l’environnement comme celles pour les traitements du bois).

Les résultats ne sont pas visibles, le seront-ils dans les années à venir ou faut-il passer à une autre échelle et prendre des mesures plus fermes et généralisées qui est la seule option efficace ?

Des actions concrètes doivent être menées en direction des sources de pollutions connues. Une hiérarchie dans les urgences peut être définie rapidement si la volonté existe !

Pour la Loue, le Contrat de rivière a mobilisé 42 millions d’euros dans les années passées, il a permis des travaux hydrauliques et de gestion des barrages et des rives, mais n’a eu aucun effet sur la qualité de l’eau comme le prouve les mortalités récurrentes de poissons et la chute des populations de la faune d’invertébrés.

Actuellement :
Le Syndicat Mixte Haut-Doubs Haute-Loue, créé en janvier 2019, labellisé EPAGE fin 2019, a en charge la gestion de l’eau et des milieux aquatiques à l’échelle du bassin versant du Haut-Doubs et de la Haute-Loue.

Avec les structures administratives bien réelles, il reste à concrétiser les actions pour obtenir des résultats !  Est-ce possible ?

Et, pour plus d’informations :

En illustration, un exemple de mortalité dans la Loue moyenne en amont de Chenecey

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1La saprolégniose est une maladie fongique causée par le champignon aquatique Saprolegnia sp., un oomycète,  qui affecte les poissons sauvages et ceux provenant des piscicultures. L’apparition de touffes cotonneuses semblables à de la ouate de couleur blanche est souvent la première indication de l’infection.


Ce saprophyte ubiquitaire se nourrit habituellement des œufs de poissons morts, mais il se développe sur les poissons après la fraie lorsqu’ils se sont blessés sur le substrat colmaté donc sur les gravières lorsqu’ils  creusent pour déposer leurs œufs. Leur mucus protecteur étant arraché la porte est ouverte à l’infection.
La saprolégniose est souvent une infection secondaire, mais des souches virulentes peuvent se développer aussi sur les salmonidés ayant subi un stress. Il conduit presque toujours à la mort du poisson.

 

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