Le glyphosate et son métabolite AMPA, polluants des villes, polluants des champs ?

En marge d’un travail sur les apports en pesticides par les STEP de 3 villes/agglomérations tout au long du Doubs entre sa source et l’aval de Besançon, plusieurs problématiques ont surgi concernant le glyphosate, le pesticide le plus utilisé en Franche-Comté comme au monde, et l’un de ses principaux métabolites, l’AMPA ; de fait, l’AMPA est quasiment toujours présent dans les eaux sauvages de Franche-Comté, en concentrations détectées et même quantifiées et le glyphosate souvent présent :

  • les sources possibles de l’AMPA, glyphosate ou lessives, sachant que l’AMPA est une des molécules les plus présentes, détectée ou quantifiée, dans les eaux des cours d’eau, en Franche-Comté comme ailleurs. L’AMPA est l’Acide Amino Méthyl Phosphonique (ordre en anglais), l’un des principaux produits de dégradation du glyphosate, que l’on retrouve produit assez rapidement dans les sols (quelques jours ou semaines, eaux superficielles et souterraines.
  • les origines directes du glyphosate et l’AMPA, Station d’EPuration des Eaux usées au sens large d’origines urbaines ou traitements agricoles ou autres.
  • enfin, les modes de circulations entre le lieu de rejet ou d’épandage et la rivière de ces deux molécules.

1 – Objectifs, méthodes

Dans le précédent article, nous avions comparé l’amont et l’aval des trois villes/agglomérations (Pontarlier, Montbéliard et Besançon) quant aux présences et concentrations de glyphosate/AMPA ainsi que celles concernant le cortège des autres pesticides. Dans le présent article, nous nous sommes focalisés sur les origines du glyphosate, mais surtout sur celles de l’AMPA que l’on retrouve dans les cours d’eau, avec deux grandes voies possibles :

  •  origines agricoles : avec lessivages et ruissellements après épandages agricoles (ou autres) de glyphosate sur les cultures et, pour l’AMPA, après transformations au sein des êtres vivants ou sols
  • origines urbaines : par apports directs avec les effluents humains après leur transit par les STEP.

L’Agence de l’eau Rhône-Méditerranée et Corse nous permet de disposer d’analyses (données publiques Naïades) en micropolluants et pesticides exploitables, même si ce sont des données ponctuelles (en lieu et date). Au-delà de ces seules données Naïades liées aux 3 villes/agglomérations, nous avons utilisé des données de débits du Doubs à Chaillexon (25) et de précipitations à Besançon en relations avec les dates des analyses retenues.

Rappelons qu’une molécule pesticide ou autre, dans l’eau du Doubs, peut être, pour des concentrations croissantes :

  • recherchée sans être détectée : elle n’apparaît pas dans la liste des molécules de l’analyse,
  • recherchée et être détectée sans être quantifiée : elle apparaît dans la liste des molécules de l’analyse avec le code 10,
  • recherchée, être détectée et quantifiée : elle apparaît dans la liste des molécules de l’analyse avec sa concentration précisée et le code 1.

2 – Le métabolite AMPA et ses sources potentielles

La Station d'Epuration de Port Douvot (Besançon) (doc. Géoportail)

La Station d’Epuration de Port Douvot (Besançon) (doc. Géoportail)

On trouve dans la littérature que le glyphosate, comme les phosphonates, azurants des lessives, est potentiellement dégradés en AMPA.

Il est intéressant de savoir l’origine d’une telle molécule, sachant que le glyphosate a une existence limitée par sa dégradation, que celle-ci ait lieu dans les organismes vivants, les sols ou les cours d’eau, sans oublier les STations d’Épuration des eaux usées, rejetées par les particuliers.

Le glyphosate, qui est un phosphonate au sens de certaines de ses propriétés chimiques, est apporté par les urines et excréments humains aux STEP, lesquelles, par les activités microbiennes qu’elles mettent en œuvre doivent permettre sa dégradation en AMPA. De même, concernant les phosphonates azurants des lessives.

Dans un premier temps, nous avons mis en relation, pour des mêmes dates, la concentration en glyphosate et celle de AMPA, uniquement lorsque le glyphosate était présent et quantifié.

Et malgré le petit nombre de données, la concentration d’AMPA est liée à celle du glyphosate, et en aval des agglomérations, en amont dans un rapport approché de 1 pour 1, tandis qu’en aval, la concentration d’AMPA est 4 fois plus forte que celle de l’AMPA. (Cf. Annexe n° 2).

Nous avons étendu ce travail à toutes les données relatives à ces deux molécules, détectées comme quantifiées et obtenu les graphiques qui permettent de confirmer les déductions précédentes.

Ces résultats ne nous permettaient néanmoins pas de valider complètement les fortes concentrations d’AMPA à l’aval des agglomérations. Nous ne disposons pas des concentrations en phosphonates des lessives. Par contre, nous disposons de celle d’un chélateur des lessives (pour empêcher les dépôts calcaires), l’EDTA. Nous pouvons estimer que les concentrations en phosphonates et EDTA sont corrélées.

Nous avons donc refait le même travail avec l’AMPA et l’EDTA. Le graphique obtenu démontre une absence de relation entre les deux molécules, avec un coefficient de détermination insuffisant. Un graphique semblable aurait sans doute été obtenu avec les phosphonates des lessives (Cf. Annexe n° 2).

 Conclusions

Nos résultats montrent donc que, dans le cadre géographique de notre étude, la présence et la concentration de l’AMPA est redevable de manière très importante et validée de celles du glyphosate, sans infirmer qu’une part soit toutefois redevable des phosphonates des lessives urbaines issues des STEP.

 Mais nous pouvons toutefois noter que les phosphonates des lessives sont en concentrations beaucoup plus  élevées (facteur 1 000) que celles de glyphosate et que cela devrait provoquer des concentrations d’AMPA beaucoup plus élevées en aval des agglomérations que celles exprimées en µg/L. Cela confirme de nouveau que la présence de l’AMPA dans notre étude est essentiellement redevable du glyphosate.

3 – Relations entre concentrations en glyphosate/AMPA dans les eaux du Doubs, son débit et les précipitations sur le bassin versant

Champ herbicidé sur les seconds plateaux du Jura (640 m d’altitude)

Nous avons exploité les données pour les seules concentrations quantifiées en AMPA et glyphosate pour l’ensemble des villes/agglomérations étudiées (dates des analyses 2010 à 2016).

Pour les débits, ce sont ceux du Doubs mesurés au lac de Chaillexon (25), à Villers le Lac (25). Ces débits rendent compte des évolutions de débit du Doubs, lesquels sont redevables de l’amont et se retrouvent vers l’aval, en dépit d’un biais, dû à l’unique localisation des mesures de débit. Pour les précipitations cumulées, ce sont les mesures faites à Besançon (25) et les valeurs indiquent les mm cumulés sur des périodes de 3, 7 et 15 jours avant la date de mesure de la concentration en AMPA dans les eaux du Doubs. Les dates hivernales où le débit (et ses effets de dilution) pouvait être impacté par la fonte des neiges n’ont pas été prises en compte. Et de nouveau, le même biais existe du fait de l’unique point de mesures de précipitations.

31 – Relations entre concentrations en AMPA et débits du Doubs (à Chaillexon) (Cf. Annexe n° 3)

Les relations entre concentrations en AMPA et débit ne sont statistiquement validées qu’après le transit du Doubs (données « aval ») par les villes/agglomérations.

En effet, en situation  « amont », les relations sont faiblement établies, non validées. Par contre, en situation « aval », la relation entre concentration en AMPA et débit est statistiquement validée et on peut expliquer  logiquement cette relation : plus le débit du Doubs est faible, plus l’effet de dilution est faible et plus les concentrations en APMA, pour une même quantité d’AMPA apportées dans l’eau de la rivière par la ville/agglomération, sont élevées.

Contrairement à la situation « amont » où l’effet de dilution semble moins évident, du fait d’apports sans doute plus diffus et moindres en quantités.

Concernant le glyphosate, nous n’avons recherché aucune relation entre débit du Doubs et concentrations au vu de l’effectif réduit des mesures quantifiées (7 mesures). De même, nous n’avons pas cherché à comparer amont et aval des villes/agglomérations.

 

32 – Relations entre concentrations en AMPA et précipitations cumulées (à Besançon) (Cf. Annexe n°4)

C’est pour les mesures concentration en AMPA et précipitations cumulées  pour la seule agglomération de Besançon que les résultats sont les plus significatifs, du fait de données  insuffisantes. Nous présentons ci-dessous les tendances qui se dégagent :

– en situation « amont », il y a une augmentation des concentrations en AMPA en fonction de l’intensité des précipitations pour les durées de 7 et 15 jours précédant la mesure de l’AMPA.

On peut mettre ce fait en relation avec le lessivage des sols, de manière plus ou moins profonde. Pour la durée de 3 jours, par contre, cela réduit la part de lessivage des zones superficielles plus ou moins étanches.

On peut en déduire avec vraisemblance les apports des sols agricoles/maraîchers de l’AMPA dans les eaux du Doubs en amont des villes/agglomérations, avec un délai correspondant au transit des sols vers le Doubs.

– par contre, avec les données « aval » des concentrations en AMPA, on obtient une autre relation : plus les précipitations sont importantes, surtout de nouveau pour 7 et 15 jours précédant la mesure de l’AMPA, plus faibles sont les concentrations en AMPA dans les eaux du Doubs.

On retrouve donc ici les effets de dilution d’apports d’AMPA à peu près constants par la STEP en fonction des précipitations à sur la région de Besançon et débit du Doubs. 

Conclusions

Ces différentes études permettent de dissocier les apports des villes de ceux des champs. En effet, entre l' »amont » et l' »aval » des villes/agglomérations,  les situations bien sont différentes et témoignent bien des apports (origines et transferts) différenciés :

  • les données « amont » témoignent bien de la durée des ruissellements, lessivages percolations et transferts souterrains vers le Doubs, correspondant à des traitements au glyphosate et apports agricoles (ou autres) en amont des points de prélèvement pour les analyses de l’eau, avec une plus ou moins grande transformation du glyphosate en AMPA entre la date de son épandage et la date de l’analyse,
  • les données « aval » rendent bien compte des apports importants et localisés au niveau des STEP des différentes villes/agglomérations traversées. Ici aussi, la dégradation du glyphosate en AMPA se déroule, très probablement favorisée par le fonctionnement bactérien des STEP.

Les deux origines de pollutions se cumulent pour donner en aval de Besançon et de sa STEP une situation  inquiétante en matière d’empoisonnement par pesticides : des centaines de molécules (pesticides et métabolites) en concentrations détectées constituant un bruit de fond, un smog aquatique, sur lequel se détachent, suivant les dates, un petit nombre de molécules en concentrations quantifiées (1 à 3 sur plus de la moitié des analyses à l’aval de Besançon en 2014).

L’ensemble de ces molécules, toxiques et très rémanentes se développe d’année en année avec la poursuite des usages de pesticides et participe à l’empoisonnement des écosystèmes aquatiques comme de celui de la nappe alluviale du Doubs, source d’eau potable jusque vers Dole et au delà.

Notons enfin que des études plus approfondies, en continu, seraient bien utiles pour aller au-delà de nos travaux et comprendre le devenir de tels polluants ainsi que leurs impacts tant chez les organismes vivants que dans les écosystèmes (études en plein champs, mesures en continu, etc.).

  

Cet article est une des deux déclinaisons d’un article paru dans le bulletin n° 98. La version numérique est  téléchargeable  en version PDF et l’article complet peut être demandé à l’auteur (gilles.sene@shnd.fr).

Le premier article, téléchargeable lui aussi, se trouve au lien suivant .

 

Bibliographie

– DEGIORGI Fr., BADOT P.-M. et all. Étude de l’état de santé des rivières karstiques en relation avec les pressions anthropiques sur leurs bassins versants. Bilan synthétique des opérations réalisées et des recherches et analyses effectuées et disponibles, UMR 6249 CNRS-UFC usc INRA Chrono-environnement – Univ. de Franche-Comté – Place Leclerc – F-25030 BESANÇON CEDEX, février 2020

– ENVI’LAB & HOLINGER  Apports vers le Doubs de polluants et nutriments à partir du bassin versant suisse. Bilan des flux, rapport final.  2016

– SENE G.  Les micropolluants et pesticides dans les eaux comtoises : un enjeu grave en matière de biodiversité et de santé humaine. Bull. Soc. Hist. Nat. Doubs (2012-2014) 94, 50- 61.

– SENE G.  Les micropolluants et pesticides dans les cours d’eau franc-comtois : compléments. Bull. Soc. Hist. Nat. Doubs (2016-2017) 96, 97- 112.

– Walther J.L.  Qualité du Doubs franco-suisse. Profil de Micropolluants. Prélèvements par capteurs passifs. ENVIReau Sur la Côte 216 CH-2905 Courtedoux, Suisse  Mars 2017

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