Par Jean-Pierre Hérold, biologiste, mars 2023
Il ne fait plus de doute que le réchauffement climatique est en cours et s’aggrave. Nos sociétés devront s’adapter. La plupart des secteurs d’activités économiques régionales (agriculture, forêt, tourisme, industries, loisirs…) seront impactées avec des productions ou des activités réduites. L’alimentation en eau potable est déjà en tension comme lors des derniers étés plus secs et plus chauds : 2018, 2019, 2020 et 2022.
En 2022 le Doubs ne coule plus en aval de Pontarlier et le saut du Doubs, une référence hydrologique et touristique, est à sec !
Les étiages de toutes les rivières de Franche-Comté se prolongent et la ressource devient problématique. Plus d’un mois sans pluies en février 2023, du jamais vu !
Les autorités préfectorales alertent déjà sur le manque de recharge des nappes souterraines, lesquelles sont à des niveaux encore inférieurs à la moyenne des années précédentes.
La situation hydrologique est préoccupante et les débits des cours d’eau ne cessent de diminuer. Les départements 25 et 90 sont classés en situation d’alerte avec des mesures de restriction de la consommation de l’eau qui visent toutes les catégories d’usagers.
Toute la Région Bourgogne Franche-Comté est concernée. Déjà les eaux de certains réseaux d’alimentation ne sont plus consommables !
Lancer les politiques de sobriété et d’efficacité est maintenant une urgence pour développer des plans d’adaptations individuels et collectifs afin de vivre et produire avec moins d’eau.
Des constats :
- L’agriculture aurait dû être en tête des mesures préventives. Une grande part de la recherche agronomique est restée orientée sur des mesures marginales d’économie d’eau visant le maintien du modèle agricole productiviste grand consommateur d’eau. Les travaux de drainage, la destruction des haies, des talus, des zones humides, la rectification de ruisseaux, le développement des arrosages et la culture de plantes gourmandes en eau et en pesticides sont encore d’actualités dans notre région alors que leurs conséquences sur la ressource en eau sont désastreuses et connues.
- Les réseaux d’alimentation en eau potable qui sont souvent de véritables passoires gaspillent 20 à 30% de la ressource. Les réseaux de collecte des eaux usées sont aussi en cause : réseaux vétustes, stations d’épuration défaillantes qui sont autant d’éléments de dégradation de la qualité de l’eau et de son gaspillage.
- Le fait de ne pas réagir rapidement mettra en difficulté des activités économiques régionales par manque d’eau de qualité. La limite de résilience des milieux aquatiques va être dépassée par des assecs plus fréquents et plus longs, donc une pénurie d’eau est probable.
- Mais cette évolution ne met pas à l’abri des inondations et tempêtes de grêle ; au contraire, les accidents météorologiques risquent d’être plus fréquents selon les climatologues.
Les effets des démarches actuelles n’ont pas réussi à réduire les erreurs du passé et les changements annoncés ne sont pas à la hauteur des enjeux.
Il est urgent de mettre en œuvre un plan d’envergure en faveur de la ressource eau, avec une large implication de la société civile et des milieux professionnels.
Ce plan ambitieux devra mettre en place des solutions durables :
- Un programme de sobriété/efficacité dans l’utilisation de l’eau. Des potentiels très importants d’économie existent dans les secteurs de l’habitat, de l’industrie, du commerce, de l’agriculture.
- Le recours à des ressources nouvelles devra être précédé par des économies d’eau et par la reconquête des centaines de puits de captage et fontaines abandonnés à la suite de pollutions locales injustement tolérées, et ceci pour renforcer les autonomies locales.
- Une tarification de l’eau fortement incitative : l’eau a un coût donc elle a un prix. Un prix dégressif à la surconsommation est une mauvaise décision.
- La fin de l’artificialisation des sols pour mieux permettre l’infiltration de l’eau dans les nappes et assurer des captages fiables et durables.
- La protection et la restauration de l’ensemble des écosystèmes aquatiques de la région, dont les zones humides et les tourbières. Leurs fonctions est double : le stockage de l’eau en hiver et sa restitution en été, avec comme effet bénéfique la réduction des pollutions à l’azote, au phosphore et aux pesticides dangereux pour la santé.
La décision de ne pas aggraver la situation par de fausses bonnes solutions comme les retenues collinaires et l’urgence de supprimer les drainages profonds des plaines alluviales qui vident les nappes d’accompagnement est un objectif nécessaire.
- L’incitation à revenir à des variétés et des espèces peu gourmandes en eau : halte au maïs. Le respect de la biodiversité des prairies fleuries : halte à la culture d’herbe.
- La lutte contre la pollution chimique des eaux de surface et souterraines et le respect de la vie des sols sans intrants ni compactage doit assurer la qualité des eaux proposée aux citoyens par les fournisseurs d’eau potable publics ou privés.
Pour exemple, le Métolachlore (C14H19NO6S) pour lutter contre les « mauvaises herbes » très utilisé sur les maïs est un produit toxique, cancérigène probable… Il est à présent interdit mais laisse des traces comme l’a fait l’atrazine.
On connaît des alternatives et le passage à la culture biologique si elle fait baisser les rendements permet aussi de vendre plus cher des produits sains recherchés par les consommateurs.
Un retour sur l’année 2022 apporte des arguments pour cette prise de conscience !
L’année 2022 a été marquée par des évènements climatiques inédits, ce sont :
- Trois canicules et des étiages extraordinaires, elles ont fait souffrir les hommes, la végétation et aussi la rivière,
- Des températures supérieures à 27° relevées en basse Loue et plus de 25° en moyenne Loue, seule la haute vallée a été en partie épargnée,
Ces températures élevées sont mortelles pour certaines espèces aquatiques d’eau froide, et même des poissons comme l’Ombre et le Chabot qui ont subi des mortalités. C’est un signal de perturbations graves,
- Des niveaux très bas ayant entraîné le dépôt puis la fermentation des algues filamenteuses, ainsi que l’assèchement de grandes surfaces de gravières ou de tufs.
Sur les “nassis” découverts, des végétaux non aquatiques se sont développés à la place des mousses fontinalis. Toute la microfaune des interstices de ces tufs calcaires a péri.
Dans ces conditions :
- Les biologistes ont mis en évidence la perte énorme de biomasse : tous les invertébrés, vers, mollusques, crustacés, larves d’éphémères, et de trichoptères sont touchés d’une façon ou d’une autre,
- La biodiversité des espèces diminue au profit d’espèces banales, escargots d’eau et gammares,
- Les secteurs de faible profondeur sont colonisés par des cyanophycées, espèces d’algues qui contiennent des toxines et donc peuvent intoxiquer les animaux qui les consomment ou les humains qui sont en contact.
En conséquence toutes les activités aquatiques ont été interdites : baignades, canoë et aussi la consommation de poisson.
Le retour à une richesse diversifiée et à des IBGN (indices biologiques) de qualité de la Loue, demandera du temps et de l’eau de qualité !
Pour cela il est nécessaire de limiter les apports de nitrates, de phosphates, de pesticides, de désherbants mais aussi de produits de traitement des bois et de traitements vétérinaires.
L’avenir des productions agricoles passe par un changement de pratiques pour privilégier la qualité face à la quantité, leur bonne rémunération n’en sera qu’améliorée grâce aux Appellations d’Origine Protégées (AOP) et Indication Géographiques Protégées (IGP) qui, dans leurs cahiers des charges tiennent compte des contraintes et en font un atout de qualité.
Le temps est venu d’agir, et donc de prendre les bonnes décisions !