Qui est autochtone et qui ne l’est pas, dans les rivières et les lacs de Franche-Comté ?

Réponse de Jean-Pierre Hérold

Ombre
Dessin de Philippe Marle

A priori on peut imaginer de classer les espèces de poissons présentes en deux catégories : celles d’ici et celles venues d’ailleurs.
Mais les choses se compliquent si on souhaite préciser l’origine de ces dernières et la façon dont elles se sont installées : par introduction ou par déplacements progressifs dans le réseau des rivières et des canaux.

Une première liste de 30 espèces est celle des espèces qui ont toujours été présentes dans les rivières de l’arc jurassien référencées de mémoire et de publications anciennes donc ce sont les espèces autochtones :

Dessin d’Apron

able de Heckel,
ablette,
anguille,
apron du Rhône,
barbeau fluviatile,
blageon,
bouvière,
brème bordelière,
brème commune,
brochet,
chabot,
chevaine, épinoche, épinochette, gardon, goujon, lamproie de Planer, loche d’étang, loche épineuse, loche franche, lote, ombre commun, perche, rotengle, spirlin, tanche, toxostome, truite commune, vairon, vandoise.

 La deuxième liste de 20 espèces est celle des espèces allochtones :

gobie demi-lune

amour blanc, aspe, black bass, carassin commun, carassin doré, carpe argentée, carpe commune, corégone, esturgeon(s), grémille, hotu, ide melanote, perche soleil, poisson chat, pseudorasbora, sandre, saumon de fontaine, silure, truite arc en ciel,  et enfin le tout dernier arrivé, le gobie demi-lune provenant du bassin du Danube présent dans la Saône, comme probablement le crapet de roche.

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Des tentatives d’introduction ont échoué avec le huchon ou saumon du Danube, le cristivomer, l’omble chevalier, les esturgeons et d’autres mal documentées.

Ce score étonnant montre, qu’en un siècle, environ 40% des espèces de poissons présentes maintenant sont des espèces nouvelles dans nos rivières et nos lacs. L’action de l’homme est responsable de ce grand chamboulement qui ne s’est pas toujours fait sans dégâts.

La perche-soleil originaire d’Amérique du Nord est importée en France par des Sociétés d’Acclimatation en 1877, pour l’originalité de sa forme et de sa robe, donc par curiosité scientifique ! Puis elle est diffusée et répandue partout.

Il en est de même pour le poisson-chat d’Amérique du nord (1871) puis du black-bass américain (dans les années 1890), de la truite arc-en-ciel (Montagnes Rocheuses, 1884), et des carpe-amour, carpe argentée et carpe à grosse tête importées d’Extrème Orient pour tenter la lutte biologique contre la prolifération du phytoplancton des étangs.

Pour conforter le loisir pêche, le sandre originaire de l’est de l’Europe, est introduit autour des années 1920 dans le Rhin et la Saône. L’esturgeon sibérien, et le pseudorasbora provenant du bassin du fleuve Amour sont déversés en eaux closes depuis 1975 provenant de piscicultures, mais ils peuvent aussi véhiculer des parasites !

Le silure en provenance de l’Europe centrale a été déversé dès les années 1855 par curiosité scientifique – un poisson qui dépasse les deux mètres voir trois mètres dans le Danube vaut un essai – puis il a progressé via les canaux en direction de l’ouest et s’est installé progressivement dans toutes les rivières de plaine où il est bien, voire trop présent aux yeux de certains : + 270% d’occurrence depuis 2005 dans la Région.

Souvent ces espèces vivent dans un certain ordre nouveau avec le milieu. Le sandre, par exemple, et d’autres n’ont pas encore atteint ce niveau d’équilibre et sont en progression comme le silure. D’autres encore trouvent dans nos rivières des eaux, encore trop froides, qui les empêchent de se reproduire comme le black-bass ou achigan, mais qu’on trouve reproducteur en étang ou en réservoir.

Les rapports prédateurs/proies en particulier ont évolué au détriment temporaire d’espèces autochtones, ainsi donc du sandre ou du silure qui auraient impacté les populations de cyprinidés locales. Mais là aussi un équilibre nouveau se met en place en quelques années.

En revanche, dans la vallée de l’Ain, la rivière à salmonidés a été totalement bouleversée. Vouglans une « masse d’eau » de 600 millions de m3, longue de 30 km, créée en 1968, a complètement modifié la répartition des espèces piscicoles basées maintenant sur les cyprinidés et leurs prédateurs déversés régulièrement.

Pour les lacs naturels du Jura, de Saint Point à Chalain et à ses voisins, on note qu’ils conservent une stabilité faunistique assez remarquable.

On admire dans ces lacs une introduction réussie, celle du corégone en provenance du lac de Neuchâtel. Elle a donné des résultats exceptionnels, salués par les hydrobiologistes, les pêcheurs et les gastronomes. (Vivier 1957).

Ce corégone (Coregonus lavaretus) espèce lacustre grégaire appelé aussi palée, lavaret, bondelle ou féra, selon les sites, est une espèce polymorphe autochtone du lac Léman et du lac du Bourget. Toutes ces populations lacustres ont été introduites avec succès sans entraîner de déséquilibre biologique !

Et maintenant, deux constats et deux questions :

  • d’abord temporel,
    Par la multiplicité des espèces nouvelles, invasives ou non, introduites, surtout entre les années 1860 et 1960, quand toutes les tentatives d’introduction étaient les bienvenues, 40% des poissons présents au 21eme siècle sont issus de ces tentatives : est-ce une réussite ?

  • ensuite spatial,
    Par la diversité des origines, de ces espèces nouvelles, de poissons exotiques d’eau douce, venues de l’Extrême Orient ou des Amériques avec tous les moyens de transport possibles et proposées pour essais d’acclimatation ou pour élevage, le remplacement d’espèces autochtones fragilisées par des invasives dynamiques est une éventualité forte, voire une réalité dans certains biotopes : est-ce un danger ?

Sans oublier :


Les Poissons d’eau douce de France
par P.Keith, H.Persat, E.Feunteun et J.Allardi.

Publication scientifique du Museum d’Histoire Naturelle  Paris  Biotope Editions , 2011, 552p.

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